La démission de Clement réclamée

L’étau se resserre autour du député fédéral Tony Clement : un groupe de femmes de sa circonscription exige qu’il démissionne de ses fonctions de député de Parry Sound-Muskoka dans la foulée de ses aveux selon lesquels il a été victime à deux reprises de tentatives d’extorsion résultant des « échanges déplacés » qu’il a eus en ligne au cours des derniers mois. Jusqu’ici, la pétition en ligne du groupe Women’s March Muskoka a recueilli une centaine de signatures. — Joël-Denis Bellavance, La Presse

Chronique

Le Labrador perdu

Le deuxième des pires « deals » interprovinciaux de l’histoire canadienne est sans doute celui de 1969 entre Terre-Neuve et Hydro-Québec. Combien de milliards la province atlantique voit-elle couler vers le Québec chaque année ? Deux, trois… Et jusqu’en 2041.

Mais le pire, c’est celui qu’on n’a pas fait quand le Labrador était à vendre, il y a 100 ans.

Un jour de 1929, pendant l’examen des comptes publics à l’Assemblée nationale, le jeune député Maurice Duplessis s’est levé en Chambre pour interpeller le premier ministre Alexandre Taschereau.

« Le gouvernement n’a-t-il pas reçu de Terre-Neuve une offre très raisonnable pour le Labrador ? Est-il vrai que le gouvernement a refusé de payer [15 millions] pour des limites forestières là-bas ? »

Taschereau est irrité. Il a raison de l’être. En 1927, le comité judiciaire du Conseil privé de Londres, la plus haute cour britannique, a décrété à trois juges contre deux que l’essentiel du Labrador appartenait à Terre-Neuve. Le territoire est immense, ses ressources sont largement inexplorées.

Le premier ministre répond néanmoins : « Une première offre a été faite il y a déjà longtemps, au prix de [50 millions]. On demanda ensuite [30 millions]. Finalement, Terre-Neuve a demandé [15 millions] pour la partie du Labrador en litige, mais mettait des réserves extraordinaires au sujet de la côte que le Canada ne pouvait accepter. D’ailleurs, ce n’est pas le gouvernement de Québec qui aurait pu acheter cette partie du Labrador pour agrandir son territoire. Cela relève du gouvernement fédéral qui peut agir ainsi. On a dit au gouvernement de Terre-Neuve que, s’il avait une offre à faire, c’est au gouvernement fédéral qu’il devait la faire. Allions-nous donner [30 millions] pour acheter ce que nous considérions – et nous le considérons encore – comme étant notre propriété ? J’entends l’opposition si nous avions consenti à payer [30 millions]. »

Terre-Neuve n’était à l’époque qu’un « dominion » britannique. Elle n’est devenue une province qu’en 1949.

On ne pourra jamais calculer la perte pour le Québec de cette décision de ne pas acheter le Labrador. On commence à peine à exploiter ses ressources.

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Refaire l’histoire à rebours, c’est un peu aller trouver le coupable à la fin d’un polar et lire le livre ensuite. Tout semble tellement évident…

Terre-Neuve ne savait pas, en signant le contrat en 1969, que le prix de l’électricité augmenterait de manière aussi fulgurante.

Et le Québec ignorait, il y a 100 ans, quelles étaient toutes les richesses du territoire et, surtout, qu’il n’était pas « propriétaire » du Labrador.

Le Québec de 1867 entre dans la fédération canadienne avec un territoire beaucoup plus petit que celui d’aujourd’hui. C’est essentiellement la vallée du Saint-Laurent jusqu’à une ligne de partage des eaux. En 1898, une loi agrandit ce territoire en traçant grosso modo une ligne de la baie James (par la rivière Eastmain) jusqu’à la côte du Labrador. Puis, en 1912, en même temps qu’il agrandit le territoire de plusieurs provinces, le fédéral cède tout l’Ungava au Québec – qui faisait partie jusque-là des Territoires du Nord-Ouest. Avec cette précision : « la Province de Québec reconnaîtra les droits des habitants sauvages dans le territoire ».

À l’époque, bien peu se soucient du Labrador. À vrai dire, ce territoire au nom qui brille (en mémoire du navigateur portugais Lavrador) est assez flou. Depuis longtemps déjà, les pêcheurs de Terre-Neuve occupent la côte du Labrador. Le Québec reconnaît à son voisin un droit sur la côte, mais sans plus. La loi de 1912 stipule que la frontière est de son territoire « suit la frontière relevant de la juridiction légale de Terre-Neuve ». Les cartes de l’époque montrent un tracé tout près de l’océan…

Sauf que des concessions forestières à l’intérieur des terres sont accordées par Terre-Neuve, le long d’un fleuve qui s’appellera Churchill quand le grand homme mourra en 1965. Ce bois est-il terre-neuvien ou canadien ? Un litige commence dès le début du XXe siècle. Le Canada et Terre-Neuve décident de soumettre la question de la frontière aux juges du Conseil privé. Il faudra cinq ans simplement pour s’entendre sur la question à soumettre, qui sera finalement plaidée en 1926. Le Québec n’était pas partie au litige, ce qu’on a beaucoup reproché au gouvernement par la suite.  Il fallait déterminer la frontière entre le Canada et Terre-Neuve dans la « péninsule du Labrador ». Il fallait pour cela définir ce qu’est la « côte du Labrador », qui avait jusque-là été la définition de la partie terre-neuvienne du Labrador.

Le géographe et juriste Henri Dorion, qui a écrit maintes fois sur la question, a démontré que le territoire accordé à Terre-Neuve (290 000 km2) dépassait largement sa demande, en plus de reposer sur des principes douteux et des données erronées. 

En même temps, la position du Canada n’avait aucun sens « géographiquement et juridiquement », selon lui : on plaidait que sur les 1000 km de côte, Terre-Neuve n’avait droit qu’à un « mille » à l’intérieur des terres. Ce qui aurait fait une bande de territoire particulièrement absurde géographiquement parlant.

Québec n’a jamais reconnu le tracé de 1927. Mais l’entrée de Terre-Neuve dans la « Confédération » l’a officialisé. De facto, le Québec l’a reconnu implicitement maintes fois par ailleurs.

Le géographe souligne d’autre part que tout ce tracé, qui serpente sur 2000 km, est encore assez flou et n’a jamais été borné. Des sociétés minières travaillant à la frontière ont dû déterminer elles-mêmes quelle proportion du minerai prélevé entraînait des redevances au Québec et à Terre-Neuve…

Sans compter les accidents de terrain multiples et les lacs qui se déversent… dans deux bassins. « Il arrive que des castors s’érigent en commissaires de démarcation des frontières », écrit-il.

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Trois fois, Terre-Neuve s’est rendue en Cour suprême, trois fois elle a échoué. Oui, Hydro-Québec revend 10, 20 fois et même plus le prix l’électricité qu’elle lui achète. Et jusqu’en 2041.

Personne ne pouvait prévoir que 0,2 cent le kilowattheure, ça deviendrait une sorte de vol légal.

Mais si l’on avait pu imaginer le millième des possibilités de ce territoire, sans doute le Québec n’aurait pas couru le risque de faire dessiner la frontière par des lords anglais – dont certains paraissent avoir été en conflit d’intérêts.

Ça valait bien 15 ou 30 ou 50 millions… L’histoire du Labrador ne fait que commencer.

Une fois la cause perdue, Maurice Duplessis pouvait bien reprocher à Taschereau de payer la somme extravagante de 6000 $ par année à l’avocat Charles Lanctôt, qui avait travaillé sur le dossier, vu les tristes résultats obtenus pour le Québec…

À chacun son mauvais deal.

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