« À date, c’est deux en deux »

Mary-Sophie Harvey se qualifie pour le 200 m libre

Toronto — C’est sa « petite épreuve-bébé », celle qu’elle bichonne avec son entraîneur depuis le début de la saison. Le 200 m libre, Mary-Sophie Harvey l’avait dans la tête, l’avait dans le cœur.

Sa façon de le nager peut d’ailleurs faire frétiller les cœurs les plus sensibles. Elle s’élance tout en contrôle, avant d’enclencher le turbo dans la deuxième moitié.

Ticket olympique en jeu ou pas, Harvey n’allait pas changer sa stratégie lors de la finale des Essais de natation canadiens, mardi soir, à Toronto.

Sixième à mi-parcours, la Montréalaise a survolé le deuxième 100 m. Quand elle a aperçu les pieds de Summer McIntosh dans le couloir voisin, elle a compris qu’elle tenait une (autre) bonne course.

Deuxième au mur, Harvey a arrêté le chrono à 1 min 55,44 s, un temps largement sous le standard olympique. Après sa deuxième place « bonus » au 100 m papillon la veille, la polyvalente athlète continue donc à remplir son agenda parisien.

« Je ne peux pas demander mieux ! », s’est exclamée la représentante de CAMO, son entraîneur Greg Arkhurst tout sourire à ses côtés.

« Même si j’étais vraiment contente et satisfaite [lundi], je savais que le travail n’était pas fini. Et il n’est pas encore fini ! […] Je voulais avoir un programme chargé aux Jeux. À date, c’est deux en deux. À voir pour les trois prochaines courses. »

Sans surprise, McIntosh a filé vers la victoire avec un chrono supersonique de 1 min 53,69 s, à quatre centièmes de son record junior qui lui avait procuré le bronze aux Championnats du monde de 2023. De quoi lui redonner le sourire après un 400 m en deçà de ses standards la veille.

« Je n’étais évidemment pas ravie, mais c’est important de continuer à avancer parce que je sais que j’ai fait l’entraînement pour cette compétition et pour la suite, a commenté la merveille de 17 ans. Alors j’essaie juste de tirer le meilleur parti de cela et de m’amuser et continuer à faire la course. »

Harvey en est une autre qui s’amuse comme une gamine depuis son arrivée au Centre sportif panaméricain de Scarborough. Cette stratégie d’économiser de l’énergie pour revenir de l’arrière lui sourit. Son deuxième 100 m a été plus rapide d’une demi-seconde que celui de McIntosh.

« Je sais que j’ai probablement un des meilleurs retours de toutes les filles qui sont ici », a expliqué celle qui a amélioré de 1,32 s son record provincial établi dans la même piscine un mois plus tôt.

« Ça ne me stresse donc pas. J’ai confiance en l’entraînement derrière moi. Dans le fond, il faut rester dans notre course, c’est ce qui est important. Souvent, dans les grosses compétitions comme ça, on voit les autres filles et on commence à paniquer. »

— Mary-Sophie Harvey

Se mesurer à l’une des deux ou trois meilleures nageuses de la planète ne la dérange pas, ou plus.

« Quand j’ai vu les pieds de Summer, j’étais trop excitée ! C’était le fun ! C’est un peu comme hier quand j’ai vu les pieds de Maggie [Mac Neil]. […] Ça me pousse un peu. L’année dernière, je voyais Summer et je me disais qu’elle était un peu inatteignable. Cette compétition me fait réaliser que peut-être pas. J’ai des capacités en moi. Je pense que je dois plus me faire confiance et essayer de la racer un peu plus. C’est excitant pour la suite. »

Harvey profitera d’un premier congé ce mercredi. Ce sera l’occasion de décider si elle s’aligne sur 400 m quatre nages jeudi. Deuxième inscrite derrière McIntosh, elle a à cœur de s’illustrer au 100 m libre le lendemain et au 200 m QNI dimanche. Un beau problème pour celle qui avait rongé son frein aux Jeux de Tokyo, avec pour seule affectation les préliminaires du relais 4 x 200 m.

Deux autres nageurs ont posé leur signature sur la « carte d’embarquement » géante pour les Jeux de Paris : Blake Tierney et le vétéran Javier Acevedo, respectivement premier et deuxième au 100 m dos. En dépit d’une course endiablée, Sophie Angus et Kelsey Wog ont tout juste raté la coupe au 100 m brasse. Angus devrait toutefois être repêchée pour le relais, tout comme Julie Brousseau et Emma O’Croinin, troisième et quatrième du 200 m libre.

Katerine Savard et Penny Oleksiak

« La preuve qu’on est humaines »

Toronto — Assise sur une chaise à quelques pas de la chambre d’appel, Katerine Savard chassait la nervosité en s’amusant avec son entraîneur Marc-André Pelletier à 20 minutes de la finale du 200 m libre, pour laquelle elle s’était qualifiée de justesse, mardi, à Toronto.

Plus tôt, durant l’échauffement, elle avait échangé quelques mots avec Penny Oleksiak, entrée elle aussi par la petite porte de cette finale aux Essais olympiques canadiens de natation : neuvième, un rang devant la Québécoise.

« On était un peu dans le même état d’esprit, dans le sens où c’est un peu de la peur qui se transmet entre nous », a admis Savard.

Dans la chambre d’appel, Oleksiak a donné un dernier encouragement à celle avec qui elle a remporté la première de ses sept médailles olympiques en 2016 : « Ne pense pas, ferme tes yeux et vas-y. »

Savard enchaîne : « C’est ça, en fin de compte : on n’avait rien à perdre. Elle m’a regardé et m’a dit : on ne peut pas être pire que dixième… »

Au moment de la présentation des finalistes, Savard, capuchon sur la tête, est sortie de la petite structure surmontée d’une tour Eiffel illuminée. Elle a pris à gauche, vers le couloir 9, tout au bout. Oleksiak, elle aussi encapuchonnée, s’est dirigée vers l’autre extrémité, jusqu’au bloc 0.

L’une et l’autre savaient que la tâche était colossale. Vingt-quatre heures plus tôt, Savard s’était classée cinquième de la finale du 100 m papillon, l’épreuve qui représentait son plus grand espoir. Oleksiak, elle, revient de blessures et de remises en question ces dernières années.

Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne tenteraient pas leur chance dans cette finale promise à Summer McIntosh, troisième aux Mondiaux de 2023. Elle-même médaillée de bronze olympique en titre, Oleksiak la talonnait d’ailleurs à la mi-course, où elle pointait la deuxième. L’illusion n’a pas duré.

De l’autre côté du bassin, Savard s’est aussi « essayée », mais elle n’a pas été en mesure de revenir. McIntosh s’est facilement imposée en 1 min 53,69 s, à quelques poussières de son record mondial junior. Mary-Sophie Harvey a fini deuxième en 1 min 55,44 s pour assurer sa place aux Jeux dans cette épreuve après sa réussite de la veille au 100 m papillon. Oleksiak a terminé neuvième en 02 min 18, six centièmes devant Savard, 10e.

La native de Pont-Rouge est arrivée devant les journalistes avec un sourire qui contrastait avec sa peine de lundi soir. « J’ai le sourire parce que j’ai donné tout ce que j’avais », a-t-elle précisé.

« Ce n’est certainement pas le résultat espéré, mais honnêtement, j’ai fait ce que je pouvais. »

— Katerine Savard

Cette sérénité apparente était une façade ou un mécanisme de défense, a-t-elle admis.

« Je ne peux rien regretter de ce qui s’est passé. J’ai donné beaucoup de moi-même à la natation, au pays, au Québec, dans les dernières années. J’aurais aimé y participer encore un peu plus, mais j’ai donné tout ce que j’avais. »

Un peu comme Oleksiak finalement, avec qui elle partage la volonté de se qualifier pour le relais 4 X 100 m libre vendredi.

« C’est Penny Oleksiak, je suis Katerine Savard, on a tous ces résultats derrière nous. Personne ne pourra nous les enlever. C’est la preuve qu’on est humaines. On n’a pas toujours des hauts, hein, dans la vie… On a contribué énormément à la natation au pays. On va faire du mieux qu’on peut avec ce qui nous reste. »

Croit-elle encore à ce rêve de se qualifier pour de quatrièmes Jeux olympiques, ce qui représenterait une première pour une nageuse canadienne ?

« Oui, j’y ai cru, a-t-elle répondu, sibylline. Ce sont des choses que j’ai déjà faites. Il n’y a rien d’impossible là-dedans. Les circonstances font que je ne suis peut-être pas la Katerine Savard qui est à son mieux dans la vie. Mais c’est ce que je suis et la vie me réserve des [nouvelles] choses. J’essaie de faire confiance à ce qui se passe. »

Elle a eu une pensée pour ses parents, qui la suivent dans les gradins du Centre sportif panaméricain, où elle a gagné trois médailles aux Jeux de 2015. Une larme a coulé à la toute fin de l’entrevue, quand elle a parlé de Pelletier, son coach de la première heure qui l’a recueillie à Québec alors qu’elle était dans un piètre état psychologique en février.

« Quand j’ai plongé, dans ma tête, je me suis dit que je le faisais pour Marc, a-t-elle glissé la voix chevrotante. Il m’a sauvée combien de fois dans les dernières années ? J’aurais aimé lui montrer que notre travail ensemble a porté ses fruits. Dans tous les cas, les résultats au chrono ne le montrent peut-être pas, mais la personne que je vais avoir été dans les derniers mois, c’est grâce à lui. »

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