Oubliez les baisses rapides de taux d’intérêt

Il faudra être patient, très patient. Parce qu’au rythme où vont les choses, les baisses de taux d’intérêt, qui touchent vos hypothèques et marges de crédit, arriveront plus tard que prévu. Et elles seront probablement moins généreuses.

Que se passe-t-il donc ? L’économie croît bien davantage qu’on ne l’imaginait. Trop, en fait, pour mater durablement la bête noire de la Banque du Canada : l’inflation. La banque centrale s’est même dite prête, mercredi, « à relever encore le taux directeur si nécessaire afin de ramener l’inflation à la cible de 2 % ».

À la Banque Nationale, les économistes jugent que le message de la Banque du Canada implique que « nous sommes maintenant dans un contexte de taux plus élevés pendant plus longtemps ».

Et au Mouvement Desjardins, on juge que « la forte croissance des salaires et l’inflation provenant des services », entre autres, auront pour effet de dégonfler plus lentement que prévu le ballon de l’inflation.

Oh, bien sûr, la croissance des prix sera moindre dans 6 mois qu’aujourd’hui. Mercredi, la Banque du Canada a d’ailleurs réitéré sa prévision d’un taux d’inflation de 3 % à la mi-2023 – dans moins de 3 mois, mine de rien –, ce qui serait un soulagement.

Mais la sainte cible de 2 % n’est pas en vue avant la fin de… 2024, soit dans 18 à 20 mois !

Et quels sont ces indicateurs qui font repousser l’atteinte de la cible ? D’abord, l’emploi. Au cours du premier trimestre de 2023, contre toute attente, il s’est créé 200 000 emplois au Canada. Toutes les provinces sont en territoire positif et les salaires sont en hausse de plus de 5 %.

Ensuite, le PIB. Les données de janvier et février laissent entrevoir une croissance de l’activité économique de 2,3 % au Canada, voire plus, ce qui est nettement supérieur aux attentes. Mercredi, la Banque du Canada a d’ailleurs révisé ses prévisions de croissance réelle du PIB pour 2023, les faisant passer de 1 % à 1,4 %.

Immobilier : l’investissement se maintient !

Pour ma part, j’ai passé au peigne fin les données de Statistique Canada sur l’investissement immobilier, dont la dernière mouture est aussi parue mercredi.

Résultat : la forte hausse du taux d’intérêt directeur, amorcée en mars 2022, n’a pas encore freiné de manière évidente les investissements immobiliers. En fait, les secteurs résidentiel et non résidentiel ont deux comportements bien différents.

Les investissements non résidentiels (industriel, commercial et institutionnel) ont progressé au rythme de 8 % depuis que la Banque du Canada a commencé à hausser ses taux d’intérêt, en mars 2022. En février 2023, dernier mois pour lequel on a des données, les investissements immobiliers non résidentiels se sont élevés à 5,6 milliards au Canada (en données désaisonnalisées).

Le secteur se maintient dans les quatre principales provinces, comme on peut le voir dans ces graphiques.

Pendant ce temps, dans le secteur résidentiel, les investissements immobiliers ont fléchi de seulement 1,4 % au Canada depuis la première hausse de taux, en mars 2022.

Cette fois, les écarts varient nettement selon les provinces, le Québec ayant été le plus durement frappé (- 18 %), alors qu’en Colombie-Britannique et en Ontario, la hausse des taux d’intérêt a glissé comme l’eau sur le dos d’un canard, avec des bonds de 12,3 % et 3,7 %.

En février 2023, dernier mois pour lequel on a des données, les investissements résidentiels se sont élevés à 15 milliards au Canada (en données désaisonnalisées).

Cela dit, la majoration des taux d’intérêt, au Canada comme aux États-Unis, finira par avoir des impacts, estime l’économiste en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion.

En mars, par exemple, l’indice des prix à la production aux États-Unis a fondu de moitié, à 2,7 %, alors que sa croissance était de 11 % le printemps dernier. Or, cet indice est un très bon prédicteur des marges bénéficiaires à venir des entreprises.

Un indice qui se dégrade aussi rapidement laisse donc entrevoir une chute des profits des entreprises et, ultimement, une hausse du chômage et une baisse de l’inflation.

La population explose

En parallèle, divers phénomènes laissent penser qu’à moyen et long terme, les prix continueront d’être sous pression.

D’abord, au Canada, la forte croissance de la population nourrira le marché immobilier et les investissements résidentiels. La population de 15 ans et plus a crû de 80 000 personnes au Canada en mars et de 205 000 au premier trimestre, un record.

En supposant un ratio de 0,6 mise en chantier par nouvelle personne en âge de travailler, il faudrait doubler le nombre de mises en chantier pour loger tous ces gens. Comme l’industrie ne peut soutenir une telle croissance, une hausse des loyers et du prix des maisons et condos est à prévoir au Canada.

Deux autres chocs structurels risquent de rendre la vie dure à la Banque du Canada.

D’abord, les tensions géopolitiques (Chine et Russie) poussent les entreprises à rapatrier leurs sources d’approvisionnement vers des fournisseurs locaux, ce qui a des effets inflationnistes. Ensuite, la décarbonation de l’économie entraînera une hausse des prix de plusieurs produits au cours de la prochaine décennie.

Dans ce contexte, il faut mettre une croix sur les faibles taux d’intérêt qui ont soutenu l’économie après la crise financière de 2008 (taux directeur moyen de 1 % pendant 10 ans).

Et quand la Banque du Canada assouplira sa politique, une fois l’inflation maîtrisée en 2024, son taux directeur de 4,5 % ne devrait pas descendre en bas de 3 %, croit Stéfane Marion. Bienvenue dans la nouvelle ère !

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