L’angle mort de la violence conjugale

À travers le brouhaha des manifestations d’Ottawa et de Québec, deux assassinats sont pratiquement passés sous silence le week-end dernier. Deux féminicides présumés, les deux premiers de 2022, l’un à Dunham, l’autre à Laval. Ces deux tragédies ont un point en commun : elles impliquent des couples plus âgés, le premier dans la soixantaine et le second formé de septuagénaires.

On parle rarement de la violence conjugale chez les aînés. C’est un phénomène peu documenté. Sur le terrain, les intervenants sont moins bien formés pour la reconnaître. Les maisons d’hébergement ne sont pas très bien adaptées pour accueillir des victimes âgées qui peuvent avoir des problèmes de mobilité, besoin de soins médicaux, etc.

Comme chez les plus jeunes victimes, la violence conjugale que vivent les femmes plus âgées peut être psychologique, économique, sexuelle ou physique. Mais chez les aînées, elle peut aussi s’exprimer dans un contexte de proche aidance. Les femmes sont souvent plus isolées, avec un réseau social faible ou inexistant. Soucieuses de ne pas faire éclater le noyau familial, elles sont parfois prisonnières d’une dynamique qui dure depuis des décennies. Si elles ne bénéficient pas du soutien de leurs enfants, elles auront encore moins tendance à aller chercher de l’aide, d’autant plus qu’elles craignent de tout perdre.

La chercheuse Lyse Montminy, professeure associée à l’École de travail social de l’Université de Montréal, étudie cette question depuis des années. Selon elle, la situation des aînées est l’angle mort de la violence conjugale.

Or, avec le vieillissement de la population, on risque de voir de plus en plus de cas.

Mme Montminy est l’auteure, avec sa collègue Christine Drouin, du rapport Un modèle de concertation pour soutenir les aînées victimes de violence conjugale réalisé pour le Secrétariat à la condition féminine. Les deux chercheuses insistent sur l’importance de la concertation entre les différents intervenants qui œuvrent auprès d’une clientèle plus âgée afin de mieux détecter les cas et offrir une aide adéquate à des victimes qui peuvent se montrer plus réticentes à accepter de l’aide et même à reconnaître ce qu’elles vivent.

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Au Québec, on ne peut pas dire que notre gouvernement ne prend pas la violence conjugale au sérieux. Au contraire. Depuis que la CAQ est au pouvoir, plusieurs millions ont été investis pour accompagner les victimes, héberger les familles, outiller les policiers sur le terrain et donner des ressources aux groupes communautaires qui en ont bien besoin, eux qui sont toujours sur la ligne de front.

Encore lundi, la ministre Geneviève Guilbault annonçait trois millions supplémentaires qui seront dirigés vers 11 services de police à travers le Québec. C’est sans compter le projet de loi sur l’implantation de bracelets antirapprochement et la Loi visant la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale.

Maintenant, il faut intégrer ces mesures et faire en sorte que tous les intervenants se parlent. Mardi, la directrice de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, Manon Monastesse, rappelait l’importance de former les intervenants de la protection de la jeunesse en ce qui concerne la violence conjugale. C’est aussi vrai pour les intervenants qui travaillent auprès des personnes âgées.

Au sein de cette population, la ligne est mince entre la maltraitance et la violence conjugale. Or, les services et les soins à prodiguer sont différents selon le problème, d’où l’importance de l’identifier correctement. D’où l’importance, aussi, de travailler en équipe multidisciplinaire plutôt qu’en silo.

Il y a aussi beaucoup de sensibilisation à faire. L’an dernier, le gouvernement du Québec lançait une campagne médiatique qui s’adressait aux auteurs de violence conjugale afin qu’ils se responsabilisent. Cette campagne choc a fait réaliser à de nombreuses femmes qu’elles étaient prisonnières d’une relation toxique.

Une campagne destinée aux aînés et à leurs proches ferait œuvre utile et sensibiliserait les familles et les soignants afin qu’ils reconnaissent les signes que quelque chose ne tourne pas rond. Si grand-maman a un bleu suspect, si son conjoint insiste toujours pour l’accompagner chez le médecin, si elle est isolée, il faut peut-être se poser des questions.

On ignore tout de la dynamique qui régnait au sein des couples qui ont connu une fin brutale le week-end dernier, mais chose certaine, ces deux tragédies nous rappellent que la violence conjugale ne discrimine pas selon l’âge.

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