Transport

Des conditions gagnantes pour réussir le REM de l’Est

Si les empoignades sur la place publique à propos des données et des choix de planification du Réseau express métropolitain (REM) de l’Est ne sont pas constructives, elles ont le mérite de faire éclater au grand jour le problème de gouvernance du REM de l’Est.

Le transport collectif urbain étant reconnu au Québec comme une compétence locale, il est curieux que d’autres acteurs se présentent comme meneur de jeu pour le REM de l’Est. Est-ce que ces changements de rôle vont s’appliquer de la même façon à Gatineau, Longueuil, Sherbrooke, Québec ?

La détermination des orientations d’un projet de transport collectif public n’est, normalement, pas du ressort d’un exploitant. Elle revient aux responsables de la ville ou de la communauté urbaine, aux sociétés de transport impliquées et au gouvernement qui le finance.

Il est donc contreproductif d’avoir exclu la mairesse de Montréal, aussi présidente de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), dont les villes se partagent la facture du transport collectif, et l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), à qui l’Assemblée nationale a donné le mandat de planifier et de financer le transport en commun dans la région de Montréal.

Ceux qui planifient la ville et les transports publics doivent avoir une voix prépondérante, car ils vont en vivre les répercussions. Leur présence à la table de décision est par conséquent essentielle.

Les divergences sur les données nécessaires à la planification des projets de transport ne devraient pas exister. Les enquêtes quinquennales origine/destination sont pilotées par l’ARTM et les données analysées par l’École polytechnique. Ces enquêtes existent depuis 54 ans et sont reconnues sur la scène internationale. Que l’ARTM soit accusée d’erreurs méthodologiques et de mauvaises prévisions est difficilement soutenable vu qu’elle utilise certaines données fournies par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui, en six mois, a révisé à la hausse de 34 % ses prévisions d’affluence sans préavis ni justification.

On ne devrait pas avoir à trancher entre qui a tort et qui a raison. Il suffirait que l’ARTM reprenne le contrôle de l’interprétation des données en collaboration avec la CDPQ et que le tout soit concilié en une analyse commune et sereine.

Un projet à intégrer au système de transport

Tout le monde s’accorde sur la nécessité d’un mode structurant de transport collectif pour l’Est de Montréal. Le REM de l’Est ne se résume pas à une infrastructure de transport qui doit maximiser le rendement de l’investissement de la CDPQ. Il doit être une composante de la colonne vertébrale du système intégré des transports collectifs de la région métropolitaine et sa conception doit s’accroître et être suffisamment attrayante pour encourager les citoyens à abandonner la voiture. Le projet doit soutenir la vision de l’aménagement du territoire et des priorités économiques de l’Est dans un esprit de collaboration. Implanté en milieu urbain déjà construit, il faut qu’il s’intègre harmonieusement à la vie des quartiers qu’il traverse, dans le respect du patrimoine bâti et paysager. Le projet présenté à ce jour répond mal à ces préoccupations et soulève de fortes résistances tant pour son incidence urbaine que pour ses effets de cannibalisation des services existants de transports collectifs. Une analyse avantages/coûts en continu devrait être disponible pour guider les décisions.

Des conditions de réussite

Afin de dénouer l’impasse, un travail collaboratif de révision du tracé et de validation du mode choisi est indispensable. Au programme : optimisation de la desserte du pôle d’Anjou et de Rivière-des-Prairies, interconnexion avec les réseaux existants, non-cannibalisation des modes structurants – métro, train de Mascouche, Service rapide par bus (SRB) Pie-IX –, meilleure utilisation de l’emprise du CN, validation du tronçon au centre-ville, implication des résidants, intégration urbaine réussie, choix du mode.

L’entente signée dans le cadre du REM de l’Ouest mériterait une révision. Les clauses de rabattement obligatoire des bus sur le REM et de non-concurrence d’autres services de transport collectif à proximité du REM rendent caducs les objectifs d’intégration efficace des services de transport dans l’Est.

Les conditions de rachat et de vente sont perdantes pour le gouvernement. La norme des passagers/km retenue pour établir la facture biaise la planification et coûte cher. La durée de 99 ans (renouvelable) des engagements financiers du gouvernement équivaut à payer six fois ce qu’aurait coûté un emprunt conventionnel à 3 % sur 25 ans, soit un engagement total, qui perdure s’il y a vente, de 23 milliards de dollars contre 4 milliards.

Les coûts du REM de l’Est doivent être exposés avant toute décision. Le REM de l’Ouest se termine. Les 82 villes contribueront et ne savent pas qu’elles seront obligées de payer une facture de 120 millions additionnels, indexés annuellement. Cette facture sera supérieure pour l’Est puisque les investissements sont plus coûteux et l’achalandage plus faible.

Le prolongement de la ligne bleue

Dans tous ces débats, le prolongement de la ligne bleue reste le grand oublié. Son bassin de 238 000 déplacements quotidiens est prioritaire pour l’Est, et présente un fort potentiel de développement économique. Nous l’attendons toujours. Entre-temps, le SRB Pie-lX ouvre en 2023 sans connexion avec la ligne bleue !

Osons la collaboration

Nous avons bon espoir qu’un projet structurant pour l’Est pourra aboutir. Mais tirons d’abord des leçons du REM de l’Ouest. Évaluons l’état du réseau de transports collectifs malmené par la pandémie, aux prises avec les effets probables du télétravail. Mesurons nos ressources. Repartons sur de nouvelles bases de collaboration. C’est la meilleure garantie qu’un projet amélioré puisse être réalisé.

* Cosignataires : Gérard Beaudet, urbaniste émérite, professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal ; Pierre Gauthier, professeur agrégé au département de géographie, urbanisme et environnement de l’Université Concordia ; Florence Paulhiac Scherrer, professeure titulaire au département d’études urbaines et touristiques, ESG, UQAM ; Louise Roy, administratrice de sociétés, ex-présidente directice-générale de la Société de transport de Montréal (1985-1992) ; Richard Shearmur, directeur de l’École d’urbanisme de l’Université McGill ; Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal. Florence Junca Adenot a été présidente fondatrice de l’Agence métropolitaine de transport et directrice du Forum URBA 2015 ; Michel Beaulé est retraité de Transports Québec (1982-2012)

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