Opinion : Bilinguisme à la Cour du Québec

Jolin-Barrette doit maintenir fermement sa position

Qui, au moment où se profile dans la société québécoise un vaste débat sur la place et l’avenir de la langue française au Québec, s’attendait à une attaque frontale de la part de la juge en chef de la Cour du Québec à l’encontre du ministre de la Justice à propos de la nomination de juges bilingues à la Cour du Québec, selon ses demandes ?

En effet, selon la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, quand elle demanderait au ministre de la Justice (en fait, au gouvernement) de pourvoir un poste de juge devenu vacant par un juge bilingue, le ministre de la Justice devrait obtempérer et recommander au gouvernement de nommer un candidat ou une candidate bilingue à ce poste. La base juridique de sa prétention serait qu’étant chargée de l’administration de la Cour, elle doit être en mesure de disposer dans certains, sinon tous les districts judiciaires, d’autant de juges bilingues qu’elle le juge essentiel.

Normalement, ce genre de débats se fait et se tranche derrière des portes closes et la population n’a pas à s’en mêler.

Mais dans le cas présent, puisque la juge en chef a mis le poing sur la table en faisant une sortie publique, mettant ainsi en cause la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, allons voir ce que nous disent les textes fondateurs.

La Constitution canadienne de 1867 a partagé entre les provinces et le gouvernement fédéral les différents pouvoirs que chacun ou chacune peut exercer.

Ainsi, en matière de droit criminel, la compétence exclusive relève du gouvernement fédéral. Selon l’article 91(27), l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à « la loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle ».

En matières civiles, la compétence relève exclusivement de chacune des provinces sur leur territoire. L’article 92 (14) l’énonce ainsi : « L’administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l’organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux ».

Le gouvernement du Québec a exercé les pouvoirs ainsi conférés par la Constitution canadienne par l’adoption de la Loi sur les tribunaux judiciaires (T-16) et le Règlement sur la procédure de sélection des candidats à la fonction de juge de la Cour du Québec (r.4.1).

L’article 88 de la Loi sur les tribunaux judiciaires se lit comme suit dans sa partie pertinente : « Les juges nommés sont préalablement choisis suivant la procédure de sélection des personnes aptes à être nommées juges établie par règlement du gouvernement. Celui-ci peut notamment :

[…] 2o autoriser le ministre de la Justice à former un comité de sélection pour évaluer l’aptitude des candidats à la fonction de juge et pour lui fournir un avis sur eux ;

[…] 40 déterminer les critères de sélection dont le comité tient compte ; […] »

Enfin, c’est à l’article 25 du Règlement sur la procédure de sélection que le gouvernement a énoncé ces critères. Voici ce que cet article prévoit :

« Pour évaluer la candidature d’un candidat, le comité de sélection tient compte des critères suivants :

1° les compétences du candidat, comprenant :

a) ses qualités personnelles et intellectuelles, son intégrité, ses connaissances et son expérience générale ;

b) le degré de ses connaissances juridiques et son expérience dans les domaines du droit dans lesquels il serait appelé à exercer ses fonctions ;

c) sa capacité de jugement, sa perspicacité, sa pondération, sa capacité d’établir des priorités et de rendre une décision dans un délai raisonnable ainsi que la qualité de son expression ;

2° la conception que le candidat se fait de la fonction de juge ;

3° la motivation du candidat pour exercer cette fonction ;

4° les expériences humaines, professionnelles, sociales et communautaires du candidat ;

5° le degré de conscience du candidat à l’égard des réalités sociales ;

6° la reconnaissance par la communauté juridique des qualités et des compétences du candidat. »

Bref, iI est absolument clair qu’aucun des critères de sélection déterminés par le gouvernement ne prévoit l’exigence du bilinguisme pour la sélection des candidats à la fonction de juge.

De plus, ni la Loi ni le Règlement ne prévoient l’intervention de la juge en chef de la Cour du Québec dans l’application de ces critères. Rien ne prévoit non plus l’existence de districts judiciaires bilingues.

C’est pourquoi le ministre Jolin-Barrette doit maintenir fermement sa position face à la volonté de la juge en chef de la Cour du Québec d’imposer au pouvoir exécutif le critère de bilinguisme pour la nomination des juges dans un district judiciaire donné.

Si, dans le futur, la juge en chef estime avoir besoin d’un ou de quelques juges ayant une connaissance suffisante de l’anglais pour diriger un procès dans un ou des districts particuliers, qu’elle fasse, par les canaux usuels, ses représentations au ministre de la Justice qui pourra disposer de la demande, selon son jugement.

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