La mécanique des désirs

Escorte, amante, amie, et aujourd’hui… mère

Elle a été escorte. Elle ne l’est plus. Mais elle ne renie rien. Mélodie Nelson, à qui l’on doit déjà un livre sur le sujet (Escorte, 2010), revient sur son passage dans l’industrie avec un roman mi-récit, mi-autobiographie, totalement assumé.

À la fois crue et drôlement littéraire, par moments carrément poétique, décousue et franchement ancrée dans le quotidien, La mécanique des désirs n’est pas une lecture reposante. C’est que l’autrice laisse volontairement planer ici un flou, et combien d’interrogations, sur ce qu’elle cherche, qui elle est et où elle va, finalement. Mais le sait-on jamais ?

« On a tous de multiples identités », confirme l’autrice, attablée à La Petite Marche, rue Saint-Denis, un café où elle a longtemps eu ses habitudes. « Je venais ici après avoir travaillé. […] C’était mon lieu. Hors de tout… »

Autrice, étudiante en bibliothéconomie (sa nouvelle « obsession », où son « désir d’être là pour les autres se retrouve autrement », comme elle dit), mère, ex-escorte, amoureuse... « J’ai accepté que j’avais toutes ces identités en moi. Et avec ce livre-là, je réussis à les montrer. » Ah ! oui et « amoureuse méfiante, presque naïve », aussi, dit-elle.

En tout cas transparente. Lucide. Et mine de rien, mélancolique et d’une infinie fragilité.

« Je suis une fille qui pensait tout faire, mais je ne peux pas. Je pensais me suffire. Mais je ne peux pas non plus. Oui, ça parle de moi. »

— Mélodie Nelson

Ça vous donne une idée du ton, des sous-entendus, raccourcis ou non-dits qui en disent long.

C’est ainsi que Mélodie Nelson décrit, dans un flou volontairement non chronologique, son souhait toute jeune d’être escorte (« j’avais hâte de faire l’amour, et puis ça n’était pas suffisant, faire l’amour »), sa curiosité grandissante (« un manque qu’aucune relation ne comblerait »), puis son arrivée dans l’industrie. Une industrie qu’on a tendance à juger, qu’elle cherche au contraire à démystifier. Elle raconte ses clients, ses amants, même ses parents (« non, je n’ai manqué de rien ! »). Le tout en y insufflant plusieurs réflexions et une bonne dose de quotidien. Celui d’une fille qui incarne certes un absolu en matière de fantasmes, mais qui doit quand même sortir les poubelles, boit du thé vert, rêve de gratins dauphinois brûlés, mais se fait payer 100 $ en extra pour une sodomie. C’est dit.

Il est aussi tout de même question d’amour, d’un mari qu’elle a mal aimé, puis d’un nouvel amoureux (avec qui elle est encore à ce jour, le père de ses enfants, depuis plus de 10 ans), pour qui elle est sortie de l’industrie. « Je ne m’attendais pas à prendre cette décision, ç’a été un choc. […] J’ai eu l’impression de lâcher quelque chose où j’avais du succès et où je me sentais bien… »

D’une expérience « limite » à une autre

Le livre n’est pas chronologique, on l’a dit, mais divisé en thématiques (mes emplois, mes parents, mes clients). « Et puis, il y a mes enfants qui traversent le tout pour fixer mon identité maintenant. » Sauf que la maternité n’est pas abordée de front. Notamment par « pudeur » et pour protéger ses enfants, comprend-on. Mais c’est dommage, parce que Mélodie Nelson en a visiblement long à dire. Avec un angle inattendu, assurément. « Être un corps. Prendre corps. C’est à travers les expériences physiques que je réussis à m’affirmer, réfléchit-elle. Être escorte, c’est très exigeant, mais être mère aussi. Ce sont deux expériences limites. »

Les parallèles ne s’arrêtent pas là. Un corps, poursuit-elle, il faut en prendre soin, il est sujet à mille attentes, « dans l’industrie du sexe, comme dans la maternité »…

« Je n’ai pas été un corps juste une partie de ma vie. Je l’incarne. »

— Mélodie Nelson

Et elle le décortique. « Ce livre, c’est beaucoup pour moi une façon de parler de ma sexualité. J’ai essayé de vivre une sexualité libre, je pensais que ça me guérirait de ma tristesse. Ça aide, mais je suis encore à la recherche de qu’est-ce qui est suffisant. […] Je cherche quelque chose que je n’ai pas trouvé, mais l’écriture me donne une option… » Tout comme la bibliothéconomie d’ailleurs, ou l’art de « passer un savoir qu’[elle n’a] pas nécessairement ».

Quant à sa « mécanique des désirs », l’a-t-elle trouvée ? « J’ai compris le besoin des hommes de présence, leur besoin de douceur, semblable à moi… », répond-elle.

On ne l’avait pas vue venir, celle-là.

Mais Mélodie Nelson ne nous a pas tout dit. « Avec ce livre, j’ai voulu montrer comment la sexualité m’a permis de m’affirmer, mais il y a encore des contraintes à ça, et c’est injuste. Injuste que la sexualité d’une femme soit autant ciblée comme quelque chose de dangereux, honteux, inconfortable, conclut-elle. J’aimerais aider à dépasser les jugements. Je les comprends, les jugements, moi aussi, j’en avais, mais pour ne pas en avoir, il faut avoir accès à autre chose. Et ce livre-là, c’est une main tendue vers autre chose. »

La mécanique des désirs

Mélodie Nelson

Éditions Château d’encre

184 pages

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