Perte d’appétit inexpliquée pour la viande végétale

Depuis lundi, la saucisse végétarienne de Beyond Meat fait partie des garnitures proposées par les Pizza Hut du Canada, tandis que ses croquettes de similipoulet ont été ajoutées au menu des 4000 PFK américains. Cet apparent essor cache toutefois une réalité inédite : la perte d’appétit des consommateurs pour la fausse viande.

Ambitieuse et innovante, Beyond Meat a carrément révolutionné le marché de la galette de bœuf haché en créant une solution de rechange… sans trace de bœuf, mais d’apparence similaire.

Rappelez-vous l’engouement lorsque la chaîne A&W a lancé, à l’été 2018, un burger avec la galette de la jeune entreprise californienne. La rupture de stock a été annoncée au bout de cinq semaines seulement ! Et on pouvait s’inscrire à une liste d’envoi pour savoir à quel moment le sandwich serait de nouveau offert.

On ne saura probablement jamais si c’était arrangé avec le gars des vues ou pas. Mais chose certaine, l’offre de protéines végétales imitant la viande (saucisses, bacon, charcuteries, poulet) a explosé au même rythme que l’engouement des consommateurs et des restaurants.

Si bien que les géants de la viande se sont mis de la partie.

Le fabricant des saucisses à hot-dog Hygrade, Maple Leaf, a annoncé vouloir investir plus de 300 millions dans une nouvelle usine de protéine végétale aux États-Unis. Deux ans auparavant, il avait mis la main sur Lightlife Foods (140 millions US) et Field Roast Grain Meat Co (120 millions US), deux fabricants de « viandes » et de « fromages » à base de plantes.

Après cette pluie de millions, voilà que le vent tourne. Et pas à peu près.

Un rapport publié par la BMO il y a quelques jours nous apprend que le déclin de la fausse viande constaté l’automne dernier se poursuit. Les quatre plus importants acteurs du secteur – Beyond Meat, Impossible Foods, Lightlife, Field Roast – ont tous enregistré un recul, une stagnation ou, au mieux, un ralentissement de la croissance de leurs ventes aux États-Unis. L’étude n’inclut pas de données pour le Canada. Mais Nielsen m’a précisé qu’au pays, la catégorie a connu une décroissance en volume de 3 % pendant le trimestre clos le 4 décembre.

La tendance est assez significative pour que l’ontarienne Maple Leaf revoie ses stratégies d’investissement dans le secteur, selon la BMO. Ses ventes de protéines végétales ont reculé de 6,6 % au cours de l’automne, tandis que ses protéines animales bondissaient de 13,4 %. Tout un écart.

« Dans les six derniers mois, contre toute attente, il y a eu une décélération rapide des taux de croissance de la catégorie des protéines végétales », a résumé le chef de la direction de Maple Leaf, Michael McCain, début novembre. Il a promis de faire un sérieux travail d’analyse pour comprendre ce qui se passe dans la tête du consommateur.

Les quatre marques phares de la catégorie ne sont pas seulement boudées dans les supermarchés, mais aussi sur l’internet, ont constaté les experts de la BMO. La baisse de l’intérêt observable sur Google Trends « est en corrélation » avec l’évidente baisse de la croissance de la catégorie, écrit l’analyste Peter Sklar, données à l’appui.

Ce n’est pas différent en Bourse. Depuis trois mois, l’action de Beyond Meat a perdu le tiers de sa valeur. Il faut dire que l’entreprise californienne a déclaré une perte de 54,8 millions US au cours de son trimestre automnal. Ses produits ont été moins populaires dans les supermarchés (- 16 %) et les restaurants (- 7 %). Sur un an, la dégringolade de 67 % en Bourse est stupéfiante.

Une série d’hypothèses

Ce désintérêt soudain pour la fausse viande a de quoi étonner dans le contexte où le prix du vrai bœuf et des saucisses atteint des sommets. En novembre, la viande coûtait 9 % plus cher qu’il y a un an, selon Statistique Canada. Il faut dire que les barquettes de viande hachée végétale ne sont pas données non plus.

L’effet de la nouveauté s’est sans doute dissipé. Les curieux ont fini leur ronde de tests. « Si la valeur ajoutée n’est pas évidente, on revient à ses vieilles habitudes », résume Alain Girard, sociologue et professeur à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), rappelant que 80 % des innovations alimentaires font patate.

Peut-être avons-nous entendu les nutritionnistes, fort nombreux à nous prévenir que les substituts de viande sont loin d’être santé. Il s’agit, bien souvent, de produits ultratransformés contenant une longue liste d’ingrédients et beaucoup de sel.

La pandémie y serait-elle pour quelque chose ? Quand on déprime, les repas réconfortants sont souvent composés de viandes longuement mijotées au four comme celles de nos grands-mères… Les ventes de tofu ont d’ailleurs reculé de 1 % (en volume) au Canada en 2021, selon Nielsen.

Le temps aurait aussi fait son œuvre, avance Laurence Godin, professeure à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval et experte du comportement des consommateurs. « La recherche a démontré que les nouveaux végétariens vont s’appuyer sur ce type de produits dans leur transition, pendant l’étape d’acquisition des connaissances. Ils auront ensuite tendance à les délaisser, une fois les compétences acquises. C’est un peu comme une béquille au départ. »

Autrement dit, Beyond Meat en aurait convaincu beaucoup de se tourner vers le végétarisme en leur simplifiant la tâche. Mais aujourd’hui, le raccourci n’est plus nécessaire.

Prochaine étape : le steak cultivé en laboratoire, semble-t-il. J’ai déjà hâte de voir la réaction des carnivores !

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