Un salon de jeux au Centre Bell

L’ouverture d’un tel établissement dans une zone de grande affluence soulève des inquiétudes en matière de santé publique

Loto-Québec et le Groupe CH, propriétaire du Canadien de Montréal, sont sur le point de conclure une entente afin d’ouvrir un tout nouveau salon de jeux au Centre Bell. L’établissement sera doté de plusieurs centaines de machines à sous ainsi que de bornes de paris sportifs, a appris La Presse.

Le tout nouveau salon de jeux sera situé dans le local actuellement occupé par le restaurant 1909 Taverne Moderne, un très grand établissement de trois étages qui jouxte le Centre Bell et qui est fermé depuis le début de la pandémie. Le salon offrira aux joueurs la possibilité de jouer sur plusieurs centaines de machines à sous qui, selon nos informations, proviendront du Casino de Montréal.

Loto-Québec a présenté ce projet d’« entente exclusive avec le Groupe CH » à plusieurs instances gouvernementales depuis plus d’un an. On le présente aussi comme un projet qui permettrait une « réduction de l’offre de jeu à Montréal » et comme un fer de lance de la « lutte au jeu illégal en ligne ».

Le jeu en ligne a en effet explosé depuis la pandémie. Un sondage réalisé en 2021 par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a montré que 20 % des Québécois s’étaient laissé tenter par l’expérience du jeu en ligne. Pour la moitié d’entre eux, c’était une toute première expérience.

Dans plusieurs centres de traitement de la dépendance, la majorité de la clientèle de joueurs problématiques joue désormais en ligne.

Ces joueurs commencent souvent leur expérience sur le site en ligne de Loto-Québec, mais passent ensuite à des sites privés, comme Bet99 ou PokerStars, qui font leur promotion à grand renfort de publicités à la télé. Ces sites sont en théorie illégaux, mais contournent la loi en appâtant les joueurs avec un site gratuit, puis en les incitant à se diriger vers de véritables casinos en ligne.

Pas encore de projet déposé à la Santé publique

À la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal, on indique qu’aucun projet n’a été déposé auprès des experts pour analyse. Historiquement, la DRSP a toujours suivi de très près les dossiers concernant les jeux de hasard et d’argent sur son territoire.

« Par contre, précise le porte-parole Jean-Nicolas Aubé, nous avons eu des échanges avec le [ministère de la Santé] et Loto-Québec au sujet du développement de l’offre de jeu sur le territoire de Montréal. Les échanges ont permis de soulever quelques préoccupations, afin de s’assurer que les meilleures pratiques soient respectées. »

Si un projet précis est présenté par Loto-Québec, la DRSP en fera certainement l’analyse et présentera des recommandations, ajoute-t-il.

Dans les instances gouvernementales où Loto-Québec a présenté le projet, l’association de la prestigieuse marque du Canadien de Montréal avec le jeu a provoqué quelques grincements de dents. L’affluence est importante au Centre Bell et l’alcool serait permis sur le site, comme dans tous les salons de jeux.

Pour faire passer la pilule, Loto-Québec s’engagerait à réduire, dans l’avenir, le nombre d’appareils de loterie vidéo (ALV) sur le territoire de la métropole.

« Ça va prendre des engagements très fermes », a dit une source gouvernementale qui a pris connaissance du projet.

Le Groupe CH « va devoir faire la démonstration qu’il y a de l’acceptabilité sociale, et qu’ils ont l’aval de la Santé publique. Il y a des questions qui vont devoir se poser, puisque le Centre Bell est un secteur beaucoup plus accessible que le Casino de Montréal », a observé une seconde source, cette fois au municipal, qui a également été informée des détails du projet.

Ni Loto-Québec ni le Groupe CH n’ont souhaité commenter nos informations.

Après le Cirque du Soleil, le Groupe CH

Cette association de Loto-Québec avec le Groupe CH rappelle la saga du casino au bassin Peel au début des années 2000. La société d’État voulait s’associer avec le Cirque du Soleil, alors au faîte de sa gloire, pour ouvrir un casino en plein cœur d’un quartier défavorisé.

Après avoir provoqué un tollé, le projet a été abandonné. La Santé publique avait bombardé le projet, démontrant que le taux de joueurs à risque, dans ce secteur, était deux fois supérieur à celui de la population générale.

Depuis, de nombreuses études ont démontré que les appareils de loterie vidéo – et leurs proches cousines, les machines à sous – sont beaucoup plus nocifs que d’autres types de jeux de hasard et d’argent.

Une étude de 2012 avait notamment montré que 16 % des joueurs d’ALV étaient des joueurs à problème, contre 3 % parmi les joueurs de loterie.

L’INSPQ avait également démontré que l’accessibilité des ALV était beaucoup plus grande dans les quartiers qui présentaient des niveaux de défavorisation élevés. Une carte a été produite par la DRSP de Montréal en 2017, qui montrait l’île de Montréal tachée de rouge dans plusieurs secteurs défavorisés où les appareils étaient particulièrement accessibles. Or, le Centre Bell est situé en plein cœur d’une de ces zones rouges.

« Ces informations peuvent nourrir les décisions des décideurs et guider les politiques publiques sur la gestion du jeu étatisé », avait dit à l’époque le directeur de Santé publique de Montréal, Richard Lessard.

Moins de 10 000

Nombre d’appareils de loterie vidéo au Québec

Jusqu’à 3400

Nombre de machines à sous au Casino de Montréal

source : Loto-Québec

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