« On aurait dû être consultés »

Rouyn-Noranda — L’annonce du déplacement de quelque 200 ménages vivant à proximité de la Fonderie Horne a créé une onde de choc dans le quartier Notre-Dame de Rouyn-Noranda, où est établie l’entreprise.

« On aurait dû être consultés », lance Josée Tousignant, qui habite une maison jumelée située à un jet de pierre de la fonderie, dans le périmètre appelé à disparaître, et qui espère que le gouvernement reviendra sur sa décision.

« Ce sont des gens même pas concernés qui décident à notre place », déplore la femme qui habite depuis une dizaine d’années dans le quartier, dont elle apprécie la qualité de vie et la vitalité culturelle.

« C’est le cœur de la ville, c’est le pouls de la ville », dit-elle à La Presse, dans le vestibule de son foyer.

« Si je suis obligée de quitter [le quartier], je vais quitter la région », lance-t-elle, se disant exaspérée par la « tempête médiatique » provoquée par la Fonderie Horne.

« J’ai une grosse boule dans l’estomac »

Josée Tousignant craint l’impact du déménagement annoncé sur les résidants de longue date, notamment les personnes âgées de son voisinage qui seront déracinées, et sur les commerces du quartier.

La nouvelle passe d’ailleurs très mal auprès de Julie St-Amour, copropriétaire du bar-librairie Livresse.

« J’ai une grosse boule dans l’estomac », dit-elle, souhaitant elle aussi que le plan annoncé change.

Son commerce, situé rue Carter, sera épargné par la démolition, mais il se retrouvera aux limites du quartier redessiné.

« On va être les derniers pestiférés », se désole celle qui a déjà perdu deux employés à cause de l’inquiétude entourant les rejets de contaminants de la Fonderie Horne.

« La solution, ce serait qu’eux autres respectent les normes [plus rapidement] », lance- t-elle en regardant en direction de la fonderie, où travaille son conjoint.

Un coin de rue plus loin, Marie-Pier Charbonneau a entendu parler de la réinstallation annoncée toute la journée, dans son salon de coiffure Studio Bloom.

« Ça jasait de ça, aujourd’hui, et c’était bien partagé », raconte-t-elle en finissant sa journée de travail en coiffant une enfant.

« Je ne pense pas que ça sera dommageable pour nous », dit celle dont la clientèle vient majoritairement de l’extérieur du quartier, qu’elle habite par ailleurs, « mais ça va changer la dynamique ».

Sur le trottoir d’en face, Sylvie Gervais discute justement de la nouvelle du jour avec une connaissance, croisée en promenant son chien.

« Ça me fait de la peine pour les gens qui ont mis du cœur à rénover leur maison », dit-elle.

Impact sur le tissu social

Le comité de citoyens Arrêt des rejets et émissions toxiques (ARET) de Rouyn-Noranda déplore la décision annoncée et les répercussions qu’elle aura pour le tissu social des gens touchés.

« Actuellement, ces gens ont accès à plein de services, plusieurs n’ont pas d’auto », illustre sa porte-parole Nicole Desgagnés, soulignant la proximité de l’hôpital, du CLSC, de la banque alimentaire, du centre-ville et se demandant si ces mêmes services seront accessibles dans le nouveau quartier promis, si le prix des logements y sera accessible.

L’absence de consultation préalable des gens concernés par le gouvernement met également en colère le comité de citoyens.

« Si l’on avait voulu être respectueux, on aurait annoncé l’autorisation ministérielle et ensuite on se serait assis avec les gens pour planifier quelque chose, dit Mme Desgagnés. Là, on leur impose, on arrive tout d’un coup, il y a une séquence complètement folle dans cette histoire. »

80

Nombre d’immeubles qui seront acquis et démolis par la Fonderie Horne pour agrandir la « zone tampon » entre ses installations et le quartier Notre-Dame

Source : gouvernement du Québec

Déplacement de 200 ménages

QS et le PQ déplorent que Québec assume la facture

Québec — Québec solidaire et le Parti québécois jugent inadmissible que le gouvernement accepte d’assumer la facture pour reloger 200 ménages de Rouyn-Noranda habitant près de la Fonderie Horne, propriété de la multinationale Glencore.

Comme La Presse l’a révélé mercredi, Québec créera une « zone tampon » dans le nord du quartier Notre-Dame, voisin de la fonderie, le secteur le plus exposé aux émissions d’arsenic et d’autres polluants. Glencore paiera l’acquisition et la démolition des 80 immeubles concernés, tout en assumant les coûts du verdissement de cette zone. Le gouvernement présentera un plan d’action de 85 millions pour entre autres reloger les 200 ménages concernés en construisant un nouveau quartier.

Cette décision est « inadmissible » et « insultante », estime QS, accusant le gouvernement de se mettre « à genoux » devant la multinationale.

« C’est incroyable : la CAQ préfère déménager 200 familles plutôt que mettre au pas une multinationale milliardaire » et d’exiger le respect des normes québécoises d’émissions de polluants, a lancé son chef parlementaire, Gabriel Nadeau-Dubois, en conférence de presse.

« Et en plus, on va mettre de l’argent public dans l’opération, comme si Glencore International n’avait pas les moyens de respecter les obligations environnementales du Québec, comme s’il n’avait pas les moyens de payer pour les dommages qu’ils font depuis des décennies à la santé des gens de Rouyn-Noranda. »

— Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

Le PQ en ajoute

De son côté, le Parti québécois a affirmé que le relogement de ménages n’a pas fait l’objet de consultations dignes de ce nom.

« On imagine le déracinement, ce que ça peut créer comme traumatisme chez les gens, a souligné le député Joël Arseneau. Et l’autre grand problème, c’est qu’on le fasse ou qu’on veuille le faire avec une contribution de 85 millions du gouvernement du Québec à une compagnie qui va, cette année ou en 2022, avoir des bénéfices nets de l’ordre de 18 milliards de dollars américains. »

Pour le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, la relocalisation est un « dossier délicat », mais « peut être une solution […] pour certains ». Il a déploré que le gouvernement maintienne sa position de demander à la fonderie d’atteindre, d’ici cinq ans, une moyenne annuelle d’émissions d’arsenic de 15 nanogrammes par mètre cube d’air, ce qui est cinq fois plus élevé que la norme québécoise. « Ce n’est pas suffisant, je pense que ça prend un plan sur cinq ans pour respecter la norme, pas pour la dépasser par cinq », a-t-il dit.

À l’heure actuelle, l’entreprise peut émettre jusqu’à 100 nanogrammes d’arsenic par mètre cube d’air, en vertu d’une autorisation ministérielle accordée par le gouvernement libéral de Philippe Couillard en 2017.

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