Le drame ignoré des enfants autochtones

Aide psychologique

« Si je ne viens pas à l’école, un jour, ce sera parce que je suis morte. » La phrase est lancée sur un ton anodin par l’adolescente de 17 ans à son enseignante. Mais elle est lourde de sens. La semaine de notre passage, deux adolescentes ont tenté de mettre fin à leurs jours. Elles ont grimpé en haut de la tour de télécommunication perchée sur une colline rocailleuse et ont menacé de sauter. Elles avaient bu. L’une d’entre elles avait par le passé avalé plus de 30 punaises à babillard. Elle s’en est sortie indemne. « Nos jeunes ont vécu beaucoup de traumatismes. Il y a beaucoup de problèmes de santé mentale, mais on manque de ressources », dit Andy Moorhouse, qui aimerait que des professionnels blancs forment des Inuits afin qu’ils offrent eux-mêmes de l’aide psychologique.

Le drame ignoré des enfants autochtones

Trop d’alcool

Depuis plus de 15 ans, il ne se vend aucun alcool dans les deux seuls commerces du village. Pour en acheter, il faut le commander du Sud, et la mairie garde un œil sur ce qui entre. Pas pour interdire aux gens d’en consommer, mais pour éviter qu’il y en ait trop. « Les gens boivent beaucoup. Ils ne savent pas quand s’arrêter. Ils boivent jusqu’à ne plus se souvenir de ce qui est arrivé », dit Andy Moorhouse. À Inukjuak comme dans les autres collectivités du Nord, il y a eu plusieurs accidents et suicides lors desquels une personne était intoxiquée. En 2013, deux ados, Tukaq Amarualik, 17 ans, et Mina Quinuajuak, 15 ans, sont morts dans un accident de motoneige. Tukaq conduisait sa motoneige à vive allure. Il avait bu. Il n’a pas réussi à négocier une courbe et a heurté de plein fouet un escalier de métal.

Le drame ignoré des enfants autochtones

Ennui

Il n’y a pas de restaurant à Inukjuak. Pas de piscine publique, pas de café, pas de terrain de soccer ou de cinéma. Bref, il n’y a pas grand-chose à faire. « Nos ados n’ont pas assez d’activités et d’infrastructures. Ils ont besoin de grandir. D’être stimulés. Il nous faut plus d’espaces récréatifs », déplore la mairesse. Le centre des jeunes, rare lieu de rencontre, tombe en ruine. La Ville attend du financement pour le rénover. « Les jeunes vont sur l’internet et sur Facebook. Ils voient tout ce dont ils rêvent. Ils veulent la même chose que les autres enfants. Mais on n’a pas d’argent pour le leur donner. »

Le drame ignoré des enfants autochtones

Plus de logements

Difficile de vivre entassés dans une maison trop petite. C’est pourtant le lot de 51 % des familles du Nunavik, qui vivent dans des maisons surpeuplées. Les logements manquent, dans le Nord, mais ils sont aussi en mauvais état et les locataires ont une part de responsabilité. Il y a quelques années, l’Office municipal d’habitation Kativik a mis sur pied un programme pour encourager la population à prendre soin de son milieu de vie. Une employée rend visite à tous les nouveaux locataires pour leur offrir une trousse de produits ménagers. Les principaux problèmes dans les maisons, dit-elle, sont le vandalisme et l’insalubrité. « Il faut que les gens comprennent que si on n’a pas à dépenser de l’argent pour réparer des fenêtres cassées, on pourra construire plus de maisons. » L’organisme évalue à 40 millions  par année les coûts de la détérioration des logements.

Le drame ignoré des enfants autochtones

Des pistes d’atterrissage plus longues

Depuis plusieurs années, les élus d’Inukjuak réclament une nouvelle piste d’atterrissage. Actuellement, seuls 3 aéroports sur 14 au Nunavik peuvent accueillir le jet-ambulance qui effectue un vol direct vers la métropole. Les pistes des autres aéroports, en gravier, sont trop courtes. Ainsi, les malades de presque tous les villages, lorsqu’ils sont envoyés d’urgence vers la métropole, doivent être transférés dans un petit avion vers Kuujjuaq, Kuujjuarapik et Puvirnituq pour changer d’appareil. « C’est beaucoup trop long », dénonce Andy Moorhouse. Selon notre enquête, plusieurs enfants vivant dans d’autres villages sont morts durant le transport. En 2011, par exemple, un garçon de 1 an est mort d’un choc septique  dans l’avion qui le transportait vers Kuujjuaq, où il devait changer d’appareil.

GRANDE ENQUÊTE LE DRAME IGNORÉ DES ENFANTS AUTOCHTONES

De l’aide réclamée

INUKJUAK, Nunavik — Dépassée par le nombre alarmant de morts au sein de sa jeunesse, la population d’Inukjuak réclame une aide accrue.

« Le gouvernement est tellement loin. Les services pour lesquels on paye des taxes sont tellement loin. Pour régler un problème, tu ne peux pas être à 1000 km de distance. Il faut venir ici pour parler aux gens et écouter ce qu’ils ont à dire », martèle la mairesse Siasi Smiler.

La femme, qui, dans son autre vie, avant d’être une élue, travaillait auprès des jeunes en difficulté, connaît très bien les problèmes dont souffre sa communauté.

Les gens sont isolés, dit-elle. Ils manquent de services et d’activités.

« Le simple fait qu’on soit loin ne devrait pas signifier qu’on reçoit moins de services. Je n’ai jamais compris cette logique. »

— Andy Moorhouse, secrétaire administratif de la société Makivik et ancien maire d’Inukjuak

La mort est chose courante à Inukjuak. Au moins 22 enfants et adolescents y sont morts dans des circonstances suspectes depuis 15 ans. Une statistique qui place la collectivité au deuxième rang des 14 villages nordiques formant le Nunavik.

On recense 12 suicides, 4 morts des suites de maladie, 1 surdose de drogue et des accidents de toute sorte. Une tragédie qui fait écho à celles vécues dans les autres villages du Nord.

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