Marché du pétrole

Vers une réduction accélérée de la demande à long terme

La crise en Ukraine, sur les plans politique et économie mondiales, amène le monde énergétique dans des zones rarement explorées. Le prix du baril de pétrole a doublé depuis un an, sans perspective claire sur le plafond qu’il pourrait franchir.

Comme par le passé, il y aura un seuil où cette explosion des cours amènera des reconversions, du pétrole vers d’autres formes d’énergie, et une « destruction de la demande ».

Ce sont les années 1970 qui ont fait entrer le marché pétrolier dans une zone permanente de turbulence. La période que l’on vit présentement y ressemble à plus d’un titre : une hausse subite du prix du baril, en raison de facteurs politiques, économie au ralenti, inflation galopante.

En 1973, pour punir les États-Unis et ses alliés de leur soutien à Israël lors de la guerre du Yom Kippour, lancée par une coalition de pays menée par l’Égypte, les pays arabes producteurs de pétrole décrètent un embargo. Le prix du baril de pétrole brut quadruple. Il passe subitement de 3,29 $US (1973) à 11,58 $US (1974).

À peine six ans plus tard, en 1979, à la faveur de la Révolution islamique en Iran, grand producteur, on assiste à une nouvelle envolée des prix du brut, qui passent de 14 $US (1978) à près de 37 $US (1980).

Mais cette hausse en continue ne tiendra pas. Entre 1979 et 1984, la consommation de pétrole dans la zone OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) fond en effet de plus de 15 %. Résultat : le prix du baril baisse de moitié, de 28 $US (1985) à 14 $US (1986).

Après une décennie 1990 avec un prix du baril relativement stable, les choses changent au milieu des années 2010. La hausse brutale des cours mondiaux ces années-là n’est pas causée par un évènement politique, mais par la croissance phénoménale de la Chine, devenue une grande consommatrice et importatrice de pétrole.

Ce prix du baril qui explose prend tout le monde par surprise à l’époque. La pointe est atteinte à 112 $US en 2012. Le prix à la pompe aux États-Unis atteint presque 3,70 $US le gallon. De nouveau, le prix du baril se replace et descend à 44 $US en 2016.

Deux autres enjeux ont remodelé la carte pétrolière depuis 20 ans. L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 fait diminuer brutalement ses exportations de brut. Mais la Russie redevient dans les années 2000 un acteur important, aux côtés des États-Unis, qui nagent dans le pétrole depuis la révolution des hydrocarbures de schiste.

Maintenant, les États-Unis, la Russie et l’Arabie saoudite ont été responsables à eux seuls de plus de 40 % de la production mondiale de pétrole en 2020. Cela leur confère une influence énorme dans la crise actuelle. Mais avec un rôle particulier attribué historiquement à l’Arabie saoudite. Dans le monde du pétrole, c’est ce pays qui peut jouer le rôle de producteur d’urgence, flexible (swing producer). Le pays a l’avantage de bas coûts de production ainsi que la capacité d’ajouter rapidement du pétrole pour faire bouger le marché.

Or, depuis l’invasion russe en Ukraine, il semble que Riyad, qui considère maintenant les États-Unis comme un concurrent sur le marché du pétrole, joue le jeu de la Russie.

Moscou est devenu un important partenaire de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dans la gestion des quantités de barils à mettre sur le marché (OPEP +). Son allié russe, qui fait face à de dures sanctions, a bien besoin d’un prix élevé du baril pour nourrir sa machine de guerre.

Si la crise actuelle enrichit les pays exportateurs, dont le Canada, à plus long terme les producteurs de pétrole pourraient payer les frais de cette crise. Ils devront composer avec des efforts accélérés de transition, donc à une chute plus rapide que prévu de la consommation. La place du pétrole dans le mix énergétique mondial a entamé son déclin : de 40 % en 2000 à 31 % en 2020.

Or, l’Europe a déjà annoncé (8 mars) un plan ambitieux de transition, plus rapide que prévu, pour se dégager de sa dépendance aux énergies fossiles. Il est à parier que d’autres pays suivront cette voie, dont le Japon, voire la Chine et l’Inde.

Laissons donc le temps long décider qui seront les vrais perdants de cette perturbation aussi brutale qu’inattendue.

*  L’auteur rédige présentement un livre sur la géopolitique de l’énergie, à paraître aux Éditions Fides.

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