Chronique

La ministre jouait du piano

Le ministère de la Culture et des Communications du Québec a été créé le 1er avril 1961. En plus de 50 ans – 56, pour être précis –, le Ministère a vu défiler 26 ministres, dont la toute nouvelle ministre Marie Montpetit. C’est presque un ministre tous les deux ans.

Sans révéler mon âge, j’ai croisé, sinon interviewé, une vingtaine de ces ministres. Certains étaient des amoureux de culture, porteurs d’une vraie vision pour le développement des arts et de la culture au Québec. D’autres étaient plus doués pour la gestion et l’action, ce qui, dans le meilleur des cas, a donné naissance à des programmes ou à des entités qui persistent jusqu’à nos jours et, dans le pire des cas, à des coupes, des fermetures et des batailles perdues. D’autres étaient de passage, ne connaissaient pas grand-chose au milieu culturel, n’avaient pas une culture des plus étendues, détestaient les mondanités et avaient été nommés à la tête du Ministère pour y faire leurs classes avant de passer à un autre appel et à un autre ministère.

On ignore encore dans quelle case il faudra ranger la nouvelle ministre Marie Montpetit. Pour l’instant, on sait très peu de choses à son sujet, sinon qu’elle n’a jamais été ministre, mais qu’elle sait se placer les pieds politiquement, puisque avant de battre Diane De Courcy dans Crémazie, elle était la présidente de la Commission politique nationale du Parti libéral de 2012 à 2014. Pas juste une membre comme les autres, la présidente !

On sait aussi qu’elle a fait 10 ou 20 ans de piano et qu’elle a étudié le chant classique à Vincent-d’Indy d’abord avec le baryton Robert Savoie, puis avec la soprano Lyne Fortin. Cette dernière m’a confirmé que la nouvelle ministre « chantait juste et que sa voix avait une belle assiduité ». C’est déjà un bon début.

Pour le reste, la nouvelle ministre de la Culture, qui a 38 ans, a quand même passé la plus importante partie de sa vie professionnelle, soit une quinzaine d’années, dans le réseau de la santé et des services sociaux. Pas dans les milieux culturels : la santé et les services sociaux.

Ce qui m’amène à la plus grande énigme du remaniement ministériel de Philippe Couillard : pourquoi avoir placé une femme qui vient d’un milieu aux antipodes du milieu de l’art et de la création à la tête du ministère de la Culture ?

Parce qu’il n’y avait personne d’autre ? Faux. Il y avait quelqu’un, une femme aussi, presque faite sur mesure pour ce ministère. Je parle d’Isabelle Melançon, qui, de 2003 à 2005, a été l’attachée de presse de la ministre de la Culture Line Beauchamp, avant de diriger pendant six années les communications et les relations institutionnelles de la SODEC. Je vous rappelle qu’avec le CALQ, la SODEC dispose de la plus importante enveloppe budgétaire consacrée au milieu culturel. Puis, de 2014 à 2016, Isabelle a dirigé le cabinet de la ministre Hélène David à l’époque où celle-ci était la titulaire de la Culture et des Communications.

Bref, c’est plus de 13 années d’expérience professionnelle que Melançon a accumulées dans le milieu culturel.

Dans les cercles libéraux comme dans les salles de rédaction, tous s’attendaient à ce qu’elle soit nommée à la Culture. C’était, comme disent les Anglais, un no-brainer. Une sorte d’évidence. Pourtant, en lieu et place, elle a été nommée à l’Environnement. Cherchez l’erreur.

Je comprends les milieux culturels d’être étonnés, pour ne pas dire abasourdis, par la décision de Philippe Couillard de nommer Montpetit plutôt que Melançon. D’autant que l’argument de la distance critique voulant qu’on ne nomme jamais un ministre au ministère proche du milieu professionnel dont il est issu ne tient pas la route. À ce que je sache, Gaétan Barrette n’était pas chanteur d’opéra avant d’être nommé ministre de la Santé. Et Carlos Leitão n’était pas travailleur social ou éleveur de poulets avant d’être nommé ministre des Finances.

Si le ministre de la Santé est un ancien médecin et le ministre des Finances, un ancien économiste, pourquoi est-ce que le ou la ministre de la Culture ne pourrait pas être quelqu’un d’issu du milieu culturel ? 

Autrement dit, quelqu’un qui en comprend les besoins, le fonctionnement, les espoirs et les aspirations et qui n’aura pas à faire six mois de cours de rattrapage pour sa mise à jour ?

La question se pose avec d’autant plus d’acuité que la nouvelle politique culturelle, due depuis 25 ans et pilotée dans ses derniers milles par le ministre Luc Fortin, doit être lancée en décembre. Or, on voit difficilement comment la nouvelle ministre pourrait se contenter de lancer une politique qui ne porte pas ses empreintes digitales – j’espère que l’entretien que je dois avoir avec la nouvelle ministre va m’en apprendre plus.

N’empêche. Sachant l’importance de ce projet attendu de tous, j’imagine qu’il faudra à nouveau prendre son mal en patience et se consoler en se disant que la nouvelle ministre de la Culture a au moins deux atouts : elle sait jouer du piano et elle ne chante pas faux.

On se console comme on peut.

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