Au pied du mur

Jugeant que les blocages mis en place par les opposants aux mesures sanitaires représentent des « activités illégales et dangereuses », Justin Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence pour y mettre un terme. Cette décision est loin de faire l’unanimité, François Legault et d’autres premiers ministres provinciaux s’opposant à l’application de cette mesure sur leur territoire.

Manifestations à Ottawa et aux frontières

« nous ne tolérerons pas Les activités dangereuses »

Justin Trudeau s’estime obligé d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence

Ottawa — Le gouvernement fédéral invoque la Loi sur les mesures d’urgence afin de mettre fin aux « activités illégales » qui paralysent le centre-ville d’Ottawa et plusieurs postes à la frontière canado-américaine, malgré la vive opposition des provinces, qui craignent qu’une telle démarche envenime un climat social déjà tendu.

Le premier ministre Justin Trudeau a affirmé avoir l’obligation d’utiliser cette « mesure exceptionnelle » pour la première fois depuis son adoption, en 1988, pour rétablir l’ordre, préserver la confiance des Canadiens envers leurs institutions et protéger la réputation du Canada auprès de ses alliés comme étant un pays où la primauté du droit est respectée.

Si les dispositions de la loi s’appliquent immédiatement à l’échelle du pays, elles seront limitées dans le temps, viseront les régions touchées et seront « raisonnables » et proportionnelles aux menaces contre la sécurité du Canada, a-t-il ajouté.

La fermeture pendant une semaine du pont Ambassador reliant Windsor à Detroit, le plus important lien commercial entre le Canada et les États-Unis, à cause des barricades érigées par des manifestants, a mis à mal la réputation du pays et perturbé la chaîne d’approvisionnement, selon le premier ministre, forçant la Maison-Blanche à intervenir.

Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’entraînera pas le déploiement de soldats dans les endroits touchés par des manifestations et des barricades, a tenu à souligner M. Trudeau, dont la décision a été saluée par les organisations représentant les gens d’affaires.

Mais cela donnera aux corps policiers des outils supplémentaires pour faire appliquer les lois provinciales et les règlements municipaux. Concrètement, les policiers pourront donner des amendes ou emprisonner des individus qui bloquent des infrastructures stratégiques comme un pont ou un poste frontalier.

Le recours à loi facilitera aussi l’utilisation de remorqueuses pour retirer les nombreux camions qui se trouvent dans la capitale fédérale ou qui bloquent le poste frontalier de Coutts, en Alberta. Jusqu’ici, les entreprises de remorquage ont refusé les demandes de services par crainte de représailles. À Windsor, ce sont des entreprises américaines qui sont intervenues, a donné en exemple M. Trudeau.

« Tout le monde est fatigué de la pandémie. Mais il y a d’autres façons de vous exprimer que de participer à des activités illégales et dangereuses », a martelé M. Trudeau lors d’une conférence de presse. « Nous ne pouvons pas et nous ne tolérerons pas que des activités dangereuses continuent », a soutenu M. Trudeau, invitant de nouveau les manifestants qui paralysent le centre-ville d’Ottawa à plier bagage.

Le premier ministre, qui était accompagné de quatre de ses ministres, a annoncé cette décision après avoir informé ses homologues provinciaux de ses intentions lundi matin. Il a aussi fait part de sa démarche aux chefs des autres formations politiques.

M. Trudeau s’est défendu de vouloir suspendre les droits fondamentaux prévus dans la Charte des droits et libertés.

« On ne limite pas la liberté d’expression ou le droit de manifester pacifiquement. Ce qu’on veut, c’est d’assurer la sécurité des Canadiens, protéger les emplois des travailleurs et rétablir la confiance dans nos institutions. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Ce siège et ce barrage causent des dommages importants à notre économie, à nos institutions démocratiques et à la réputation du Canada dans le monde », a pour sa part déploré la ministre des Finances, Chrystia Freeland, à ses côtés. Elle a soutenu que « la confiance internationale envers le Canada » est en jeu.

C’est la première fois depuis son adoption en 1988 qu’un gouvernement invoque la Loi sur les mesures d’urgence. Celle-ci a remplacé la controversée Loi sur les mesures de guerre qui avait été utilisée par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau lors de la crise d’Octobre.

Freeland ferme le robinet

Parallèlement, le gouvernement Trudeau veut couper le financement qui a permis les occupations illégales. Les plateformes de sociofinancement et les services de paiement en ligne sont ajoutés à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Elles doivent désormais rapporter toute transaction importante ou suspecte, incluant les transactions en cryptomonnaie, au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada.

Les banques pourront cesser temporairement d’offrir des services financiers lorsqu’elles soupçonnent qu’un compte sert aux barrages illégaux.

Les banques peuvent également geler les comptes personnels ou commerciaux de tout participant aux blocages illégaux sans ordre de la cour. Elles devront signaler ces personnes à la Gendarmerie royale du Canada et au Service canadien du renseignement de sécurité.

« Il s’agit de suivre l’argent, il s’agit de mettre fin au financement de ces blocages illégaux. Considérez-vous avertis. Si votre camion est utilisé dans ces blocages, vos comptes d’entreprise seront gelés. L’assurance de votre véhicule sera suspendue. »

— Chrystia Freeland, ministre des Finances

Quelques heures plus tôt lors de la période des questions, les partis de l’opposition ont mis en doute l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence, après des semaines d’inaction du premier ministre. « La section 16 de la Loi sur les mesures d’urgence réfère à des menaces à la sécurité du Canada, a fait valoir la cheffe intérimaire du Parti conservateur, Candice Bergen. Dans ce contexte, est-ce que le premier ministre du Canada estime que ces manifestations sont une menace à la sécurité du Canada, et si ce n’est pas le cas, est-ce qu’il ne croit pas qu’il pourrait envenimer la situation au lieu de la calmer ? »

« Notre priorité numéro un est de mettre un terme à ces blocages illégaux, faire appliquer la loi et permettre aux Canadiens de retrouver leur vie », a répliqué le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino.

Mesure « un peu extrême »

Les conservateurs ont continué de réclamer la fin de la vaccination obligatoire pour les camionneurs. Ils ont tenté sans succès de faire adopter une motion afin que le gouvernement présente un plan pour la levée des mesures sanitaires et des obligations vaccinales d’ici la fin du mois. Fait à noter, le député libéral Joël Lightbound, qui a critiqué la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement Trudeau, a appuyé l’initiative des conservateurs.

Le Bloc québécois estime qu’il n’est pas nécessaire d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, d’autant que les policiers avaient réussi la veille à déloger les manifestants qui bloquaient la circulation sur le pont Ambassador. « Avant même qu’une démarche comparable, dans un contexte différent, n’ait pu être déployée à Ottawa, le gouvernement fédéral va tout de suite à une mesure qui, dans les circonstances, apparaît un peu extrême », a affirmé le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, soulignant au passage que plusieurs provinces, notamment le Québec, y sont réfractaires.

Le Nouveau Parti démocratique compte appuyer l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence, lui qui s’était opposé à l’utilisation de la Loi sur les mesures de guerre lors de la crise d’Octobre. Ce sont deux lois différentes, a fait valoir son chef Jagmeet Singh. « La Loi sur les mesures de guerre était très critiquée parce qu’elle donnait des pouvoirs trop élargis au gouvernement et a mené à des abus aux droits de la personne, a-t-il expliqué. La Loi sur les mesures d’urgence ne donne pas les mêmes pouvoirs. »

La manifestation d’Ottawa en chiffres

2600

Nombre de contraventions remises par les services des règlements municipaux et de police d’Ottawa

26

Nombre d’arrestations relativement à des infractions criminelles

140

Nombre d’enquêtes criminelles en cours relativement à des infractions liées à la manifestation

2

Nombre de véhicules volés destinés à rejoindre l’occupation interceptés par la police

Source : Service de police d’Ottawa, en date du samedi 12 février

— Alice Girard-Bossé, La Presse

La manifestation à Windsor en chiffres

42

Nombre d’arrestations faites relativement à des infractions criminelles. La grande majorité des personnes arrêtées ont depuis été libérées avec une date d’audience à venir et font face à une accusation de méfait.

37

Nombre de véhicules saisis depuis le début de la manifestation par la police de Windsor

Source : Service de police de Windsor, en date du lundi 14 février

— Alice Girard-Bossé, La Presse

Les manifestations en quelques dates

28 janvier

Les manifestants, qui s’opposent à la vaccination obligatoire des camionneurs, arrivent à Ottawa dans un mouvement nommé « Canada Unity ».

6 février

Le maire d’Ottawa, Jim Watson, déclare l’état d’urgence dans la capitale canadienne.

7 février

Début de la manifestation au pont Ambassador, reliant la ville de Detroit, aux États-Unis, à Windsor, en Ontario.

11 février

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, déclare l’état d’urgence dans l’ensemble de la province.

La Cour supérieure de l’Ontario accorde une injonction à l’industrie automobile pour mettre fin au blocage à l’entrée du pont Ambassador.

13 février

La police de Windsor déloge les manifestants qui bloquaient l’accès au pont Ambassador.

14 février

Le gouvernement Trudeau invoque la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin aux blocages.

— Alice-Girard Bossé, La Presse

Qu’est-ce que la Loi sur les mesures d’urgence ?

C’est la première fois que la Loi sur les mesures d’urgence, adoptée en 1988 par le gouvernement de Brian Mulroney, est invoquée au Canada. Elle a remplacé l’ancienne Loi sur les mesures de guerre, utilisée trois fois dans l’histoire du pays, soit pendant les deux guerres mondiales et lors de la crise d’Octobre de 1970.

Si elle donne des pouvoirs extraordinaires au gouvernement pour agir, la Loi sur les mesures d’urgence se distingue de sa prédécesseure pour plusieurs raisons. D’abord, elle est assujettie, comme toutes les autres lois canadiennes, à la Charte des droits et libertés.

« Il ne s’agit pas de rentrer dans le tas et d’arrêter tout le monde comme dans les années 1970, explique Stéphane Beaulac, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Montréal. Mais on peut, par exemple, interdire des rassemblements qui autrement seraient possibles. »

Le préambule de la Loi sur les mesures d’urgence indique qu’elle permet de « prendre, à titre temporaire, des mesures extraordinaires peut-être injustifiables en temps normal ». Il est toutefois précisé que le gouvernement ne peut porter atteinte aux « droits fondamentaux […] même dans les situations de crise nationale ».

Les actions du gouvernement ne sont pas non plus à l’abri des poursuites. « Les tribunaux pourraient s’en emparer », résume Stéphane Beaulac. Le professeur rappelle tout de même que les droits individuels sont aussi pondérés en fonction des besoins sociétaux.

Et l’armée, dans tout ça ? « Elle fait partie des mesures possibles, affirme M. Beaulac. Mais si [Justin Trudeau] fait appel à l’armée, il va devoir se justifier. »

Débat parlementaire

Autre nouveauté : le Parlement, donc les partis de l’opposition, de même que le Sénat, devront débattre et appuyer le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. « La déclaration de l’État d’urgence doit être ratifiée dans les sept jours, explique Martine Valois, aussi professeure de droit à l’Université de Montréal. Ça doit être débattu à la Chambre des communes. »

« L’exécutif est redevable au Parlement, renchérit Stéphane Beaulac. C’est une grosse différence. »

Une fois ratifiée, la déclaration permet au gouvernement de prendre de nombreuses mesures par décret. Les pouvoirs de la police municipale, provinciale et de la Gendarmerie royale du Canada sont aussi étendus.

L’exercice politique est périlleux pour le gouvernement fédéral, estime Stéphane Beaulac. « Le gouvernement a l’obligation de rendre des comptes devant la Chambre des communes, souligne-t-il. On peut, à la limite, imaginer un scénario où ça virerait vraiment mal et où il pourrait tomber. »

Ce que la Loi sur les mesures d’urgence implique

Six mesures concrètes que le gouvernement mettra en place

Les rassemblements publics qui troublent la paix et vont au-delà de la simple manifestation sont interdits.

Il est interdit de bloquer certains endroits désignés, comme la frontière, les postes frontaliers, les infrastructures essentielles et les rues de la ville d’Ottawa.

Les autorités pourront exiger que les entreprises de remorquage enlèvent les camions utilisés pour bloquer le chemin.

Il est interdit d’utiliser des camions ou d’acheminer des fonds pour soutenir les blocages.

La Gendarmerie royale du Canada aura l’autorité d’appliquer les règlements municipaux et les lois provinciales là où ce sera requis.

Les contrevenants s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à 5000 $ ou à des peines de prison d’un maximum de cinq ans, selon la gravité de l’infraction.

Deux différences entre la Loi sur les mesures d’urgence et la Loi sur les mesures de guerre

Examen parlementaire

Doit respecter la Charte canadienne des droits et libertés

— Joël-Denis Bellavance et Mylène Crête, La Presse

« Pas sur le territoire québécois »

Le premier ministre François Legault s’oppose catégoriquement à ce que le gouvernement Trudeau applique la Loi sur les mesures d’urgence au Québec. Ailleurs au pays, plusieurs de ses homologues estiment aussi que cette mesure n’est pas nécessaire sur leur territoire.

« On n’en veut pas sur le territoire québécois », a martelé le premier ministre, lundi, dans le cadre d’une conférence de presse à Longueuil, avant même l’annonce du premier ministre Trudeau.

M. Legault ne s’oppose pas à ce que la loi s’applique dans les provinces qui le souhaitent. Cependant, il estime que cette mesure n’est pas nécessaire au Québec, parce qu’il n’y a pas eu de problèmes et que, face aux mouvements de contestation des mesures sanitaires qui ont provoqué des crises dans d’autres provinces, la Sûreté du Québec a la situation bien en main.

« On a eu une discussion ce matin, tous les premiers ministres de toutes les provinces avec M. Trudeau. Moi, j’ai été très clair, on ne souhaite pas avoir l’état d’urgence fédéral sur le territoire du Québec.

« Je comprends qu’il y a un problème particulier en Ontario, en particulier à Ottawa, a enchaîné le premier ministre. On est bien prêts à supporter ce qui est nécessaire d’être fait par l’Ontario et par le gouvernement fédéral, et évidemment par le gouvernement municipal de la Ville d’Ottawa. Mais on ne souhaite pas avoir l’état d’urgence au Québec pour deux raisons. D’abord, on ne pense pas que c’est nécessaire. On l’a vu à Québec, on l’a vu en fin de semaine à Montréal : les corps de police et la Sûreté du Québec arrivent à garder le contrôle. Deuxièmement, je pense que c’est le temps de rassembler les Québécois, ce n’est pas le temps de les diviser. »

Interrogé à savoir s’il faisait un lien entre cette loi et la Loi sur les mesures de guerre imposées par le père du premier ministre canadien actuel, Pierre Elliott Trudeau, M. Legault, sans s’étendre sur le sujet, a dit y avoir pensé.

Il ne croit pas, par ailleurs, que le Québec peut mettre un veto à la Loi sur les mesures d’urgence. « Je pense que ça devient politique », a-t-il dit.

D’autres premiers ministres opposés

Les dirigeants des provinces ont été informés des projets du fédéral lors d’une conférence téléphonique avec Justin Trudeau au courant de la journée de lundi. Ailleurs au pays, des premiers ministres provinciaux ont exprimé leur opposition à cette mesure.

C’est notamment le cas de Jason Kenney, en Alberta, où un barrage est toujours en cours au point d’entrée de Coutts, et où la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a saisi un arsenal lors d’une perquisition effectuée dans des véhicules du convoi qui bloque la frontière canado-américaine.

En conférence de presse à Calgary, lundi matin, il a affirmé qu’il respecterait la décision du gouvernement fédéral, mais qu’il ne la considérait pas comme « nécessaire ». En effet, « d’un point de vue albertain, nous avons tous les pouvoirs statutaires et capacités opérationnelles ».

Le dirigeant conservateur a par ailleurs dit craindre que le recours à la loi puisse faire perdurer les tensions.

« Je pense qu’il y a un certain type de personne qui, en entendant cette annonce du fédéral, sera encore plus enflammé, et cela pourrait mener à une prolongation de certaines de ces manifestations. »

— Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta

Son collègue de la Saskatchewan, Scott Moe, a opposé la même fin de non-recevoir. « Les blocus illégaux doivent cesser, mais la police dispose déjà d’outils suffisants pour faire respecter la loi et mettre fin aux blocages, comme elle l’a fait ce week-end à Windsor. Par conséquent, la Saskatchewan n’est pas en accord avec l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement Trudeau », a-t-il écrit sur Twitter.

De son côté, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a réitéré lundi qu’il appuierait toute proposition du fédéral qui pourra contribuer à dénouer l’impasse. La semaine dernière, M. Ford avait déjà annoncé qu’il décrétait l’état d’urgence sur son territoire.

Le centre-ville d’Ottawa est paralysé depuis 18 jours par des manifestants qui réclament la fin des mesures sanitaires. Ces derniers ont stationné plus de 400 camions lourds dans les rues du centre-ville et refusent de quitter les lieux, malgré l’état d’urgence décrété par Ottawa et la province de l’Ontario.

Les partis de l’opposition du Québec unis

Les trois partis de l’opposition à l’Assemblée nationale ont aussi exprimé leur désaccord avec l’application au Québec de la Loi sur les mesures d’urgence. Selon la cheffe de l’opposition officielle, Dominique Anglade, « Justin Trudeau doit ramener l’ordre à Ottawa, mais les mesures d’urgence du gouvernement fédéral ne sont pas nécessaires au Québec ». Le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a pour sa part fait savoir, sur Twitter, que son parti « appuie la demande du premier ministre du Québec. La situation en Ontario est très inquiétante, mais rien ne justifie d’appliquer la Loi sur les mesures d’urgence sur le territoire québécois ». Quant au chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, il a écrit que son parti « appuie la position du gouvernement et demande aux autres partis d’opposition de faire bloc contre l’utilisation des mesures d’urgence ou des soldats canadiens au Québec dans ces circonstances ».

— La Presse Canadienne

La mouvance alt-right sous-estimée

Le gouvernement fédéral et les autorités ont sous-évalué les objectifs et le niveau d’organisation des groupes et leaders issus de la droite radicale qui se sont immiscés dans les convois mobilisés un peu partout au Canada, estiment plusieurs experts.

On minimise depuis longtemps les capacités et la persistance de l’extrême droite au Canada, constate David Morin. Les évènements d’Ottawa, de Windsor et de Coutts, en Alberta, en sont de parfaits exemples, soutient le cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent de l’Université de Sherbrooke.

On s’attendait à une courte manifestation en opposition aux mesures sanitaires. Or, beaucoup de groupes avec des idéologies antigouvernementales se sont introduits dans le paysage. « C’était une évidence à Ottawa. On a sous-estimé les objectifs réels des organisateurs qui étaient de déstabiliser le gouvernement, l’économie et l’État », ajoute M. Morin.

Impossible de minimiser l’importance du populisme, du mouvement alt-right et de sa volonté de peser sur la scène politique fédérale, renchérit le chercheur.

« Pour une partie des gens, ces groupes ne sont pas perçus comme radicaux parce qu’ils ne se rattachent pas au stéréotype qu’on se fait d’une menace. C’est comme ça qu’ils gagnent du terrain. »

— David Morin, cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent de l’Université de Sherbrooke

Un échec

Christian Leuprecht peine à croire qu’on a laissé des centaines de camions s’emparer de la rue.

« N’importe quel autre groupe propageant des symboles haineux ou appelant à renverser le gouvernement se serait fait bloquer l’accès », s’étonne le professeur de science politique au Collège royal militaire et à l’Université Queen’s.

Il décrit la situation comme un échec politique et opérationnel. Le gouvernement et les responsables de la sécurité publique auraient dû mieux cerner les motivations des protestataires. « C’est le travail de la GRC de surveiller ces groupes et leurs leaders et d’anticiper la situation. »

Les évènements d’Ottawa et de Windsor montrent que du côté des autorités, on saisit mal la puissance des idéologies contestataires, leur capacité organisationnelle et leurs objectifs, ajoute-t-il.

La police d’Ottawa ne disposait pas des ressources nécessaires pour remédier à la situation. Du côté du fédéral, on ne leur en a pas fourni, explique M. Leutretch.

« Ce ne sont pas des manifestations, ce sont des occupations. On a la liberté de manifester et d’exprimer un point de vue, mais les tactiques des groupes alt-right, c’est de s’immiscer là-dedans avec leur propre idéologie. »

— Christian Leutretch, professeur de science politique au Collège royal militaire et à l’Université Queen’s

Surveillance

Depuis plus de 10 ans, plusieurs chercheurs sonnent l’alarme sur les groupes de la droite radicale qui profitent d’une perte de respect envers les élus, les autorités et la démocratie, résume Michel Juneau-Katsuya, ancien officier supérieur du renseignement et gestionnaire au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

« Est-ce que ça se peut qu’on fasse preuve de laxisme envers eux ? J’aurais tendance à dire oui. Ils ne rentrent pas dans le moule de la menace habituelle », dit M. Juneau-Katsuya.

La mouvance alt-right et les idéologies antidémocratiques font l’objet d’une certaine surveillance, mais sont rarement présentes au quotidien dans les débats publics. « On est très peu renseignés sur la droite au Canada et au Québec, sur ce qui se passe dans l’Ouest, par exemple. »

« Ils inquiètent moins les autorités. Le chef de police d’Ottawa va avoir à répondre à certaines questions. C’était la chronique d’un désastre annoncé. On aurait pu bloquer l’accès aux camions dès le début. »

— Michel Juneau-Katsuya, ancien officier supérieur du renseignement et gestionnaire au Service canadien du renseignement de sécurité

Le gouvernement canadien s’intéresse davantage au phénomène depuis quelques années, nuance David Morin. « Plusieurs entités se rajoutent à la liste des groupes qui pourraient poser une menace à la sécurité nationale. »

Pourtant, ceux qui se sont imposés dans ces blocus sont à surveiller plus que jamais, indique M. Juneau-Katsuya. « N’importe quelle personne non blanche aurait été interpellée différemment. Mais il y a un laisser-aller. Ils sont capables de subsister le temps qu’il faudra. Ils sont capables d’embrigader d’autres personnes qui ne voient pas nécessairement que le leader a un agenda. »

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