Secteur communautaire

Plaidoyer pour une meilleure rémunération

Nous sommes deux directeurs d’organismes communautaires en santé mentale implantés à Québec depuis plus de 30 ans et deux coordonnateurs de regroupements d’organismes en santé mentale et en itinérance de la Ville de Québec, regroupant près d’une soixantaine d’organismes, à sonner l’alarme.

Nos organisations contribuent à l’innovation sociale par leurs pratiques alternatives et le soutien donné à des personnes fragilisées par la maladie mentale, la pauvreté et l’exclusion. Depuis l’hiver 2020, nous traversons les vagues successives de COVID-19 en adaptant constamment nos services et nos activités avec toute la créativité qui nous caractérise. Nous faisons également face, sur le terrain, aux conséquences désastreuses de la pandémie sur les personnes que nous accompagnons : isolement social, appauvrissement, désorganisation et crises psychosociales, surdoses de drogues, violence, problèmes de logement et d’instabilité résidentielle, abandons scolaires, pertes d’emplois, etc.

Bref, ce contexte ajouté à celui du sous-financement chronique de nos organisations, des redditions de comptes étouffantes et de la pénurie de main-d’œuvre, nous fait frôler la catastrophe : la planète communautaire est en voie d’extinction !

La majorité des travailleurs et travailleuses du milieu communautaire sont des femmes (80 %). Les emplois d’intervenant.es, d’animateurs.trices, de gestionnaires, etc. du réseau communautaire sont comparables à des emplois dans le réseau de la santé. Par contre, les écarts de rémunération et de conditions de travail sont flagrants et clairement inéquitables ! De nombreuses études et représentations ont déjà été faites par les groupes de femmes sur cette question. Récemment, un mouvement de travailleur.euses du communautaire, né à Québec en 2022, #noussommeslepremierlien, revendique un salaire de base de 25 $ de l’heure, au premier échelon.

En effet, selon des données du Comité sectoriel de main-d’œuvre (CSMO), relatées par l’Alliance des travailleuses et travailleurs de l’action communautaire autonome (ATTACA) en 2019, nous disent que le salaire moyen au sein des organismes communautaires était de 18,54 $ de l’heure au Québec en 2019, comparativement au salaire horaire moyen au Québec durant la même année, qui était de 24,94 $, soit un écart de 6,40 $. Bref, les travailleur.euses du communautaire ne gagnent que 74 % du salaire horaire moyen provincial et évidemment l’écart se creuse davantage si l’on compare avec les salaires du réseau de la santé pour des emplois comparables.

Il se peut bien que la perception du milieu communautaire, par une sorte de relent judéo-chrétien mal dégrossi, ait fini par convaincre l’ensemble de la population, y compris les personnes œuvrant dans ce secteur, que les conditions de travail comptent peu pour lui, et que la compassion et la vocation suffisent.

Il nous semble que l’État québécois, peu importe les gouvernements qui se sont succédé, n’a jamais démontré sa volonté à offrir un cadre de financement équitable à nos organismes.

Un cadre permettant l’accès à des salaires compétitifs et à des avantages sociaux tels que des assurances collectives et des régimes de retraite aux milliers de travailleur.euses du secteur communautaire. Nous croyons que si les salaires de notre personnel ne sont pas réajustés rapidement, la survie de nos organismes est clairement compromise. La rareté de la main-d’œuvre, l’inflation galopante et l’embauche de nos employés.es par le réseau public de santé et autres institution offrant de meilleures conditions, pourraient donner le coup de grâce à nos organisations.

Nous avons la conviction que les pratiques des organismes communautaires en santé mentale et d’autres secteurs comme l’itinérance font du Québec une société distincte. Les organismes communautaires en santé mentale, partie intégrante de ce qui reste de la première ligne en santé (très malmenée par les dernières réformes du réseau de la santé) doivent être considérés et participer aux décisions entourant la refondation du système de santé.

Les partis politiques au pouvoir au cours des dernières décennies n’ont jamais reconnu le milieu communautaire à sa juste valeur. Il est déraisonnable de sous-payer les acteurs d’un secteur de l’économie qui, tout en contribuant à aider les plus mal pris de la société, crée de l’emploi et de la richesse. Nous sommes à l’heure des choix politiques. Au bout du compte, si la classe politique en général semble plutôt indifférente aux conditions d’exercice du travail communautaire, nous demandons le soutien de la population afin de ne pas laisser mourir le milieu communautaire, fleuron de la société québécoise !

Après les réajustements des salaires des préposés.es et des techniciennes en garderies et autres employé.es du réseau public, voici venu le temps d’offrir à tous les « anges gardiens » du secteur communautaire, et notamment aux organismes en santé mentale et en itinérance, des conditions de travail décentes, avant que leur disparition ne multiplie par quatre les coûts pour le remplacer !

* Cosignataires : Francine Cyr, directrice du Pavois ; Charles Rice, directeur de l’Agir en santé mentale ; Mélanie Gravel, coordonnatrice du Regroupement pour l’aide aux itinérants et itinérantes de Québec (RAIIQ)

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.