Manifestation au Capitole

Une « insurrection » signée QAnon

L’homme tatoué au torse nu qui portait un casque de Viking au milieu des t-shirts arborant la lettre « Q » qui ont envahi le Capitole mercredi incarne la signature du mouvement d’insurrection : le groupe QAnon, cette nébuleuse complotiste qui est de plus en plus présente au Canada et au Québec.

Surnommé « Q Shaman », l’insurgé s’appelle Jake Angeli et se décrit lui-même sur Twitter comme un « soldat numérique » de QAnon qui s’oppose aux antifas (les antifascistes, ennemis jurés des tenants de l’extrême droite). Il a été filmé à de nombreuses reprises par les médias américains lors de manifestations d’opposition au mouvement Black Lives Matter, ainsi que lors de marches pro-Trump.

Comme lui, nombre d’adeptes de la théorie du complot de QAnon promettaient depuis plusieurs semaines sur les réseaux sociaux une « tempête de lumière », vaste « purge » lors de laquelle les « traîtres » de l’élite démocrate et les fonctionnaires de l’« État profond » seraient arrêtés. Une promesse qui a d’ailleurs largement trouvé écho au Québec, où de nombreux internautes annoncent sur les comptes Facebook et Twitter de leaders antimasques que « quelque chose de gros s’en vient », promettant au passage une vague d’arrestations citoyennes et l’adoption de la loi martiale qui permettra d’expulser le gouvernement.

« Ce qui s’est passé au Capitole était hautement prévisible. On le voyait notamment venir sur les réseaux sociaux alternatifs comme Gab et Parler, où se sont repliés les adeptes du mouvement QAnon depuis que Facebook et YouTube les ont bannis », affirme le politologue David Morin, cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.

Même s’il y avait une part d’improvisation évidente dans l’assaut de mercredi à Washington, la tentative de prise du Capitole le jour de la certification des votes des grands électeurs, un « geste hautement symbolique », était « clairement organisée avec le gars des vues », estime M. Morin. « Il y avait une partie de planifiée. »

Selon le sociologue Martin Geoffroy, du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, ce discours des insurgés de Washington « se répand comme un virus » à l’échelle de la planète, « notamment au Québec ».

Encore jeudi, sur la page Facebook d’une influenceuse antimasque québécoise, un internaute réclamait « des actions concrètes et beaucoup plus dérangeantes » et la fin des manifestations pacifiques visant à mettre fin au décret sanitaire.

« Ça fait un bon bout de temps que les conspirationnistes d’ici parlent d’arrestations citoyennes, souligne M. Geoffroy. Ils ont développé leurs propres pseudo-lois et souhaitent l’instauration d’un système politique autoritaire fascisant qui s’éloigne des fondements d’une démocratie libérale », avance-t-il.

Une récente manifestation des antimasques devant le siège de l’Assemblée nationale le soir du jour de l’An, qui s’est soldée par un échec faute d’une masse critique de participants, suggère cependant que les émules québécois et canadiens de QAnon n’ont pas de bases suffisamment solides pour mener ce genre de contestation violente.

« Bien que ce soit un mouvement qui prend de l’ampleur et qui se radicalise, le contexte canadien n’est pas le même que celui des États-Unis, une société hyper clivée, où la culture de la violence est inscrite jusque dans la Constitution, avec le 2e amendement favorisant la possession d’armes. »

— David Morin, cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents

Les réseaux propageant des idéologies radicales, comme le Ku Klux Klan, ont aussi tout un historique aux États-Unis qui n’existe pas au Canada. « On voit beaucoup de citoyens qui commencent à trouver que ces idées-là ont de l’allure », déplore cependant M. Geoffroy.

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