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Vers des taux plus bas de perfluorés dans l’eau

Les perfluorés sont de plus en plus dans le collimateur des organismes de santé publique. De nouvelles normes de 10 à 20 fois plus basses sont proposées au Canada, tandis qu’une limite stricte est imposée pour la première fois dans l’eau potable aux États-Unis. Huit villes du Québec – Sainte-Pétronille, Longueuil, Waterloo, Val-d’Or, Saint-Donat, Sainte-Adèle, L’Épiphanie et Sainte-Cécile-de-Milton – ont trop de perfluorés dans leur eau, selon ces normes.

Normes plus strictes proposées au Canada

Depuis 2019, Santé Canada a des cibles qui encadrent la concentration d’une dizaine de perfluorés dans l’eau potable. Les cibles les plus basses sont de 200 nanogrammes par litre (ng/L). De nouvelles normes plus strictes, qui font l’objet de consultations publiques jusqu’en avril, visent une trentaine de perfluorés. La somme de leur concentration ne doit pas dépasser 30 ng/L, ce qui est beaucoup moins.

Encore plus sévères aux États-Unis

Aux États-Unis, l’Agence de protection environnementale (EPA) a fixé à la mi-mars à 4 ng/L la limite pour deux perfluorés dans l’eau potable.

« Il y a une norme de l’EPA pour ce qui est souhaitable, qui est de zéro. Et il y a une norme qui tient compte du coût de la surveillance et du traitement, qui est de 4 ng/L. C’est plus bas qu’au Canada [où la limite proposée est de 30 ng/L], mais nous incluons beaucoup plus de molécules. »

— Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’Université de Montréal

Quatre autres perfluorés sont aussi visés par l’EPA, selon un calcul compliqué avec des seuils allant de 9 à 2000 ng/L, selon M. Sauvé. Les normes de l’EPA doivent être appliquées par tous les États, qui peuvent même adopter des normes plus strictes.

Certains États – par exemple, le Michigan depuis 2020 – surveillent déjà les perfluorés dans l’eau potable. « Je pense qu’au Canada, on devrait aller vers des limites plus basses, comme aux États-Unis », estime Scott Hopkins, chimiste à l’Université de Waterloo, spécialiste de la mesure des perfluorés dans l’eau potable et les égouts.

« En tenant compte de beaucoup plus de perfluorés, concrètement, l’approche canadienne est plus sévère pour le moment. Mais je m’attends à ce que des États américains abaissent leurs limites sous celles de l’EPA. »

— Scott Hopkins, chimiste à l’Université de Waterloo

Trop de perfluorés dans l’eau de huit villes du Québec

Sébastien Sauvé a appliqué les nouvelles normes de l’EPA à son analyse des perfluorés dans l’eau potable au Québec, publiée à la mi-février dans la revue Water Research. Le nombre de municipalités dépassant les seuils est de cinq selon la norme canadienne proposée de 30 ng/L, mais monte à huit lorsqu’on applique celle de l’EPA. Ainsi, la norme américaine ferait basculer Sainte-Pétronille, Longueuil et Waterloo dans le camp des villes où l’eau potable contient trop de perfluorés, dans lequel se rangent déjà Val-d’Or, Saint-Donat, Sainte-Adèle, L’Épiphanie et Sainte-Cécile-de-Milton selon la norme envisagée au Canada. Notons toutefois que ces mesures sont fluctuantes : à L’Épiphanie, une mesure subséquente a rapporté des taux inférieurs à la norme de 30 ng/L.

« La Ville suit ce dossier de près par l’entremise de sa participation à la Chaire industrielle en eau potable de Polytechnique Montréal, en collaboration avec d’autres partenaires municipaux », a dit Louis-Pascal Cyr, porte-parole de la Ville de Longueuil.

Norme fédérale facultative

Avec les nouvelles normes proposées, le Canada « est, à mon avis, plus sévère que l’approche américaine, qui ne couvre que quelques perfluorés », indique Sébastien Sauvé.

La norme fédérale canadienne n’est pas obligatoire, mais certaines provinces, notamment l’Ontario et la Colombie-Britannique, sont plus avancées en la matière que le Québec – qui ne limite pas la présence de perfluorés dans l’eau potable.

« C’est étonnant qu’avec les recommandations des experts de Santé Canada, de l’agence de protection de l’environnement des États-Unis et de l’Union européenne, le Québec les contredise et maintienne que pour le moment, on n’a pas besoin de réglementer les perfluorés dans l’eau potable au Québec. »

— Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’Université de Montréal

Québec suit le dossier

La Direction nationale de santé publique du Québec suit le dossier, selon le relationniste Robert Maranda du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui souligne les « incertitudes concernant la probabilité et l’importance des effets sur la santé » des perfluorés. Fin février, le directeur national de santé publique, Luc Boileau, a déclaré à Radio-Canada que l’eau des réseaux de distribution québécois était « très potable », malgré la présence de perfluorés.

Polluants presque éternels

Découverts dans les années 1940, les perfluorés sont très résistants, ce qui est positif pour l’industrie, mais cela leur permet de s’accumuler dans l’environnement et les organismes vivants sans être dégradés. Ils sont notamment utilisés dans les antitaches, les antiadhésifs et les mousses anti-incendie de haute performance. Un risque accru de certains cancers a été observé dans les populations vivant près de sites très contaminés, et plus récemment, des problèmes immunitaires à des taux plus répandus, ce qui a entraîné les nouvelles normes.

La demi-vie (une mesure technique de l’élimination de la moitié d’une quantité d’un produit) des perfluorés approche parfois une dizaine d’années. « On les appelle les polluants éternels, mais c’est un peu abusif, on ne parle pas de centaines ou de milliers d’années », dit M. Sauvé. Bonne nouvelle : les concentrations dans la population américaine de certains perfluorés bannis en 2004 par la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, qui couvre notamment les BPC, ont commencé à baisser, selon les centres de contrôle des maladies (CDC) du gouvernement américain. Théoriquement, les réglementations n’incluent pas seulement les perfluorés, mais aussi les polyfluorés. On utilise aussi pour les désigner l’acronyme anglais PFAS, soit en français « substances alkylées perfluorées ou polyfluorées ».

Analyser les eaux usées

Les quelques laboratoires privés capables d’analyser la quantité de perfluorés dans l’eau potable au Québec ont probablement une limite de détection de 4 ng/L, selon M. Sauvé. « Avec un peu d’efforts, ils devraient être capables de descendre à 1 ng/L. Ça devrait être suffisant pour respecter la nouvelle norme canadienne. » Le laboratoire de M. Sauvé a une limite de détection de 0,05 à 0,1 ng/L, selon la molécule, et couvre 75 sortes de perfluorés.

À l’Université de Waterloo, M. Hopkins planche quant à lui sur une nouvelle technologie de détection des perfluorés dans les eaux usées. « Les techniques actuelles fonctionnent avec les eaux relativement propres, dit M. Hopkins. Avec les eaux usées, c’est plus difficile. Si on veut identifier les sources de perfluorés pour éliminer le problème à la source, il va falloir de nouvelles technologies. »

771 millions US

Coût de l’imposition des nouvelles normes américaines sur les perfluorés dans l’eau potable

Source : EPA

Que sont les perfluorés ?

Molécules utilisées depuis les années 1950 comme antitaches et antiadhésifs, notamment dans le téflon, ainsi que dans les mousses d’incendie militaires et aéroportuaires, les perfluorés ne se dégradent pas et s’accumulent dans l’environnement et le corps. Ils ont un potentiel cancérigène et interfèrent avec le système immunitaire. Trois perfluorés sont interdits par la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, signée par 152 pays en 2001 et entrée en vigueur trois ans plus tard. Cette entente internationale concerne 30 substances qui persistent longtemps dans l’environnement et le corps humain.

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