Mon clin d’œil

Que donne-t-on à l’anniversaire d’une guerre ? La paix.

États-Unis

Le double legs de Jimmy Carter

Les gens se souviendront avec tendresse de Jimmy Carter et de ses bonnes œuvres. En particulier Habitat pour l’humanité, qui bâtit des logements pour ceux qui n’en ont pas. Des voisins qui s’entraident. Jimmy Carter a été le meilleur ex-président de l’histoire des États-Unis. Mais comme président, il fut tout simplement médiocre.

Il n’aura fait qu’un seul mandat à la présidence, de 1976 à 1980, facilement battu ensuite par Ronald Reagan. Le Parti démocrate américain avait pourtant amorcé les années 1970 en s’imposant comme force nationale dominante. Or, à la fin de la décennie, il n’était plus que lambeaux. Des centaines de milliers de démocrates membres de la classe ouvrière avaient tourné le dos au parti de Franklin Roosevelt et au New Deal.

Il y a de cela des années, j’ai passé plusieurs semaines à éplucher les archives de la Carter Presidential Library, à Atlanta, en Géorgie. L’expérience m’a ouvert les yeux.

C’est Carter, et non Reagan, qui a donné son envol à la déréglementation aux États-Unis.

Dans son discours de réélection à l’investiture démocrate en 1980, Carter allait jusqu’à célébrer sa déréglementation des lignes aériennes, de l’industrie du camionnage et du système financier.

On pourrait donc dire qu’il a ouvert la voie à l’ordre néolibéral.

La présidence de Jimmy Carter coïncide avec une crise industrielle. Des milliers d’usines ferment leurs portes, et le chômage monte en flèche. En 1977 seulement, 14 aciéries cessent définitivement leurs activités. Or, Carter parle rarement de problèmes économiques, malgré le fait que de nombreux Américains en souffrent. Son administration leur offre à peine plus qu’un haussement d’épaules.

Pour de nombreux travailleurs américains de l’époque, il n’était pas rare de se présenter un jour au travail et de trouver les barrières de l’usine cadenassées. Aux États-Unis, contrairement au Canada, aucune loi n’obligeait alors les employeurs américains à donner un préavis à leurs employés afin qu’ils aient le temps de s’adapter à la perte de leur emploi. De nombreux projets de loi destinés à atténuer l’impact socioéconomique des mises à pied ont été déposés au Congrès, mais Carter ne les a jamais soutenus. C’est Reagan, et non Carter, qui a signé la loi rendant ce type de préavis obligatoire.

Une nouvelle génération de leaders

Puis vient le rapport définitif de la Commission for a National Agenda for the Eighties, nommée par la présidence Carter, où elle juge « inévitable » le déclin des villes industrielles des États du Nord-Ouest et du Midwest. Elle enjoint au gouvernement de réorienter ses efforts afin d’aider les populations urbaines pauvres à migrer vers les États du pourtour méridional. Pour elle, c’est la grande solution. Selon le Time Magazine, aux yeux de la politique urbaine, le modèle de la métropole du Nord a fait son temps. Il est devenu obsolète. Pensez à cela une seconde.

Jimmy Carter faisait partie d’une nouvelle génération de leaders – nombre d’entre eux élus pour représenter la banlieue bien nantie – qui exhortaient le Parti démocrate à tourner le dos au New Deal. La vieille politique de la redistribution fait alors place à la nouvelle politique post-matérialiste de la classe moyenne progressiste.

La justice sociale, plutôt que la redistribution économique, figure désormais à l’ordre du jour. Beaucoup sont même contre les syndicats.

La vieille alliance électorale est anéantie.

Et Jimmy Carter a servi d’exemple aux futurs présidents démocrates. Ainsi, Bill Clinton s’est fait le champion du libre-échange avec le Mexique, a déréglementé le secteur financier (avec des résultats désastreux en 2008), a renversé les politiques sociales du New Deal et a choisi de lutter contre le déficit plutôt que contre le chômage et la pauvreté. Le vice-président Al Gore a même refusé d’affirmer que « les syndicats sont bénéfiques pour les travailleurs » quand il s’est adressé à la Fédération américaine du travail – Congrès des organisations industrielles. Barack Obama, pour sa part, a renfloué Wall Street durant la crise financière de 2008, au lieu des propriétaires de maison. Et c’est Donald Trump, et non Obama, qui a renégocié l’accord de libre-échange nord-américain pour faire en sorte que les travailleurs américains soient mieux protégés.

C’est pourquoi, quand un métallo déplacé de Buffalo m’a un jour dit : « Une administration républicaine, une administration démocrate, c’est du pareil au même », je n’ai pas eu de mal à le comprendre. Il a ajouté que les politiciens démocrates de la région n’avaient même pas pris la peine de venir assister à une réunion pour sauver l’aciérie où il travaillait : « Ils se moquaient pas mal de ce qui nous arrivait. »

Il ne fait aucun doute que Jimmy Carter était un honnête homme. On aurait pu toutefois souhaiter plus de bienveillance de sa part quand il était président des États-Unis.

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