Mon clin d'œil  Stéphane Laporte

Quelle est la différence entre l’hiver et les députés du Bloc ? L’hiver ne s’en va pas.

Opinion Outremont et les carrés jaunes 

Un faux débat

Au cours de la dernière semaine, l’incident autour des carrés jaunes à l’hôtel de ville d’Outremont a suscité de vives discussions. Cet événement malheureux a provoqué un faux débat qui nous incite à faire le point au sujet des relations de bon voisinage dans l’arrondissement. Contrairement à ce que suggère l’opinion générale et certains médias, il existe à Outremont une cohabitation pacifique entre les résidants du quartier. Les tensions intercommunautaires sont principalement dues, depuis les dernières années, à des interventions intempestives de certains individus au conseil municipal, parfois relayées par les médias.

Lors de la dernière séance du conseil municipal d’Outremont, certains résidants ont protesté contre l’affluence des autobus scolaires hassidiques dans certaines rues en arborant un carré jaune. Le port de ce symbole, qui rappelle l’étoile de David sous le régime nazi, a ranimé les tensions entre les résidants hostiles aux Juifs hassidiques et l’ensemble des autres résidants du quartier. Ce geste inacceptable repose sur une volonté d’exclusion d’un groupe religieux à la forte croissance démographique dont la vie est centrée sur la famille.

Les autobus scolaires : un problème réel

Soyons clairs : la présence des autobus scolaires dans des secteurs densément peuplés de l’arrondissement d’Outremont pose un problème. Certains chauffeurs ne sont pas attentifs aux piétons et conduisent dangereusement, ce qui brime la sécurité de l’ensemble des passants et des résidants. À cela s’ajoute l’affluence des autobus et le bruit des véhicules, tant d’éléments nuisibles à la vie du quartier. Sur ce point, il va de soi que la municipalité devrait travailler de concert avec les responsables en question et la communauté hassidique pour qu’une prise de conscience se fasse et atténue le problème.

Cependant, le discours virulent d’une résidante voulant que la circulation fréquente des autobus scolaires soit un privilège accordé à la communauté hassidique est insensé et hors de propos. À Montréal, de tels autobus sont mis à la disposition de tous les enfants qui fréquentent des établissements scolaires. Utiliser les problèmes associés aux autobus scolaires pour cibler une fraction de la population constitue un geste discriminatoire dans le contexte du respect mutuel et des droits de la personne au Québec. Quand on sait que la famille est au cœur de la vie hassidique, un discours radical prônant l’interdiction des autobus scolaires met clairement en lumière la volonté d’exclure une partie des citoyens.

Le carré jaune et la manipulation du discours

En arborant un carré jaune au conseil municipal d’Outremont, certains citoyens ont fait preuve d’un manque de discernement condamnable. On ne peut utiliser un symbole qui ravive un souvenir douloureux en feignant une profonde ignorance à l’égard des conséquences qu’il entraîne et des émotions qu’il soulève. De plus, suggérer que les étudiants auraient « donné l’exemple » avec le symbole du carré rouge associé aux grèves étudiantes de 2012 et à la lutte contre l’appauvrissement, c’est transformer un symbole d’émancipation en un symbole de répression.

En clair, ce « carré jaune » met au jour une volonté de marginaliser, sinon d’exclure de l’espace public une partie de la population d’Outremont – les Juifs hassidiques.

Par ailleurs, l’idée voulant qu’il est de mise de faire tabula rasa avec l’Histoire pour avancer est profondément erronée. Cela va de soi : on ne peut construire l’avenir en effaçant le passé. La mise en opposition des mémoires et des souffrances collectives vécues par différents peuples n’est pas une voie susceptible d’ouvrir de nouveaux horizons en vue d’un dialogue constructif entre les différentes communautés qui sont installées aujourd’hui à Outremont. La concurrence des « déportations » et des « exils » est un faux débat risqué qui ne trouve pas sa place dans un discours d’échange et de cohabitation à Outremont.

Pour en finir avec « l’autre » chez nous

Le discours qui tend à privilégier un groupe au détriment d’un second, perçu comme « l’autre » qui s’installe chez soi, est profondément ancré dans le nationalisme ethnique. Ce type de discours s’oppose au modèle d’État démocratique qui définit le Canada, composé d’une pluralité d’expériences religieuses, linguistiques et culturelles. Dans un pays pluriculturel, et dans une ville fortement marquée par la diversité comme Montréal, il n’existe pas de citoyens de seconde classe. Tous les citoyens font partie du présent et contribuent à leur manière à construire l’histoire du Québec et du Canada. L’enjeu consiste maintenant à instaurer des moyens de discussion afin de veiller à la poursuite d’une cohabitation positive entre les différents groupes de résidents à Outremont.

* Chantal Ringuet est écrivaine et chercheuse associée à la Chaire d’études juives canadiennes de l’Université Concordia. Jessica Roda est anthropologue et chercheuse postdoctorale au Département d’études juives de l’Université McGill

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