Réparation d’électroménagers

« C’est fou, ça n’arrête pas »

Alors que les appels à lutter contre l’obsolescence programmée se font plus insistants et que le déconfinement a lieu dans un contexte de vive incertitude économique, les réparateurs d’électroménagers se disent plus occupés que jamais. Regard sur un vieux métier toujours d’actualité.

Yan Candie arrive chez sa première cliente de la journée. En moyenne, selon la complexité des cas, il en visite une douzaine chaque jour. « C’est fou, ça n’arrête pas. Si on pouvait travailler sept jours sur sept, à longueur d’année, on aurait du travail. »

Exerçant ce métier depuis 22 ans, il est aujourd’hui président de Vincent Robillard inc., une entreprise de réparation d’appareils électroménagers fondée en 1920 à Montréal, par son arrière-grand-père.

Cette laveuse qu’il s’apprête à ausculter, il l’a déjà réparée à quelques reprises. Avec les problèmes d’essorage décrits par sa cliente, le technicien n’a pas un bon pressentiment. Alors qu’il démonte le panneau de la laveuse, la dame raconte comment son frigo a rendu l’âme pendant le confinement. Elle espère avoir plus de chance avec sa laveuse, un appareil de marque Eurodesign âgé de 22 ans.

« Je n’ai pas de bonnes nouvelles, laisse tomber Yan Candie au bout de quelques minutes. Ça va prendre une transmission neuve. » Coût : 735 $ pour cette pièce seulement. Avec le joint et le coussinet (bearing), il calcule 1000 $. Et c’est sans compter la main-d’œuvre. Sans surprise, la cliente décide de faire le deuil de sa laveuse. Vu l’âge de l’appareil, la facture est démesurée. Elle devra néanmoins payer le technicien pour son déplacement.

Yan Candie note toutefois que les gens sont de plus en plus enclins à choisir la réparation, pour des raisons tantôt écologiques, tantôt économiques ou parce qu’ils ne veulent pas se défaire de leur appareil, vieux mais fidèle.

« Pourquoi jeter quelque chose qui peut être encore utile ? », résumera Michel Parent, un client qui a fait appel à Yan Candie pour réparer son lave-vaisselle qui ne s’allumait plus. Un problème de fusible qui s’est réglé rapidement. « Un autre de sauvé ! », a alors lancé le technicien.

Mais jusqu’à quel point vaut-il la peine, économiquement parlant, de sauver un appareil électroménager ? « Jusqu’à 75 % de sa valeur, croit Yan Candie. Mais ça dépend du type d’appareil. » Il cite en exemple une laveuse frontale, d’une marque coréenne, dont le contrôle électronique aurait brisé après huit ans, une réparation d’environ 450 $, selon lui. « En tant que technicien, on sait que ces laveuses-là durent à peu près de huit à dix ans. Dans des cas comme ça, je vais l’expliquer au client. Il y a d’autres appareils pour lesquels je dirais : oui, mets 400 $ et on se revoit dans cinq ans. Il faut qu’on vive avec ça, ce n’est pas évident. »

Plus tard dans la journée, il expliquera à une cliente dont le lave-vaisselle âgé d’une vingtaine d’années ne nettoie pas bien, qu’investir, ne serait-ce que 125 $, pour remplacer la pièce défectueuse est une décision qui ne s’impose pas d’emblée. « Si vous restiez ici, je dirais pourquoi pas, explique-t-il à la femme qui doit déménager sous peu. Mais les appareils n’aiment pas être trimballés. Si vous cognez le moteur et qu’il se brise… Et la pièce pourrait être discontinuée… Pensez-y. »

La non-disponibilité des pièces est parfois un obstacle à la réparation des appareils électroménagers. Et cela ne concerne pas que les modèles anciens. « Est-ce que les fabricants s’organisent pour que leurs appareils ne soient pas réparables ? demande Yan Candie. Presque. Autant pour les appareils flambant neufs. On fait des appareils encore sous garantie et une pièce X est défectueuse, mais n’est pas encore disponible. Ça fait peut-être un an que la machine est sur le marché. »

Et lorsque des composants électroniques sont en cause, il arrive que les pièces, bien que disponibles, coûtent le prix de la machine. « C’est là que ça irrite les clients, affirme-t-il. Une fois, un client m’a dit : “J’ai même pas fini de la payer et il faut que je la scrappe.” »

Outre la garantie offerte par le fabricant, la loi prévoit une garantie de durée raisonnable qui dit qu’un bien doit pouvoir servir à un usage normal pendant une durée raisonnable. Si la négociation avec le commerçant échoue, il est possible de s’adresser à l’Office de la protection du consommateur (OPC).

Bientôt une loi contre l’obsolescence programmée ?

L’an dernier, le député indépendant Guy Ouellette a déposé à l’Assemblée nationale un projet de loi privé pour lutter contre l’obsolescence programmée des biens, élaboré par des étudiants de l’Université de Sherbrooke préoccupés par cet enjeu. La CAQ n’y a pas donné suite, mais a mandaté l’OPC pour mener une consultation publique portant sur « la durabilité, la réparabilité et l’obsolescence des biens de consommation » comme les électroménagers, par exemple. Il devait notamment être question de la durée minimale de fonctionnement de certains biens, de la disponibilité des pièces et des services de réparation ainsi que de l’imposition de sanctions pénales aux entreprises qui recourent à des procédés pour limiter la durée de vie de leurs produits.

La consultation étant terminée, l’OPC est en train d’analyser les points de vue qui lui ont été soumis et doit faire ses recommandations au ministre de la Justice au cours des prochains mois, a fait savoir son porte-parole, Charles Tanguay.

Mais déjà, les réparateurs d’électroménagers ne manquent pas de travail. Chez Oxebo, une entreprise située à Longueuil qui dessert Montréal, Laval et la Montérégie, la demande est repartie à la hausse après un ralentissement en début de pandémie. Bien que l’entreprise compte 20 techniciens, les délais pour un appel non urgent peuvent aller jusqu’à une semaine.

Même réalité chez Couture Électro, aussi sur la Rive-Sud.

« Depuis le déconfinement, c’est fou, fou, fou. Je ne sais pas comment l’expliquer. Pendant le confinement, ç’a été tranquille. Peut-être que les gens ont attendu. »

— Christine La Frenière, propriétaire de Couture Électro

Cette situation met en relief une réalité qui frappe ce secteur et qui n’est pas nouvelle : la pénurie de main-d’œuvre. « C’est un branle-bas de combat qu’on vit en ce moment dans le métier, constate François Pelosse. On a des demandes pour prendre de l’expansion, mais on est obligés de freiner. Juste pour vous dire comment le manque de main-d’œuvre est là. »

François Pelosse déplore que le métier ne soit pas davantage présenté aux élèves du secondaire. Le Comité sectoriel de la main-d’œuvre de l’industrie électrique et électronique (Élexpertise) travaille d’ailleurs, par diverses initiatives, à redorer le blason de la profession.

« Je ne sais pas où ça s’en va, indique Yan Candie. Il n’y a pas de relève. Ce n’est pas un métier super connu. Tout le monde sait qu’il peut avoir affaire à un réparateur pour sa laveuse. Mais de parler de ce métier-là à tes enfants ? »

Entre la réalisation de cette entrevue et la publication de l’article, Yan Candie a dû dire au revoir au seul technicien qui travaillait à ses côtés, un sous-traitant. « C’est le reflet parfait de ce qu’on vit dans le métier », dit-il.

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