Le bureau de Harper était sur ses gardes

OTTAWA — Au fil des ans, les activités d’espionnage menées par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aux dépens des journalistes chinois ont fluctué, tel un battement de cœur, selon l’état des relations entre le Canada et la Chine, selon nos informations. « Avant la visite d’un dignitaire chinois au Canada, tout le monde se calme. Les agents chinois, qu’ils soient des journalistes ou autres, ne veulent pas se faire prendre, car cela pourrait causer un incident diplomatique. Mais après, ça reprend de plus belle », a souligné un ancien haut responsable du SCRS.

Le Quotidien du peuple et l’agence chinoise Xinhua comptent chacun un journaliste affecté à la couverture de l’actualité à Ottawa aujourd’hui. Sous le régime de Stephen Harper, Xinhua comptait trois correspondants. Quelle est l’ampleur de la surveillance de ces journalistes chinois aujourd’hui ? Nos sources, qui ont toutes exigé que l’on taise leur identité dans le cadre de notre enquête pour des raisons de sécurité, ont refusé de s’avancer sur cette question.

La Presse s’est intéressée à cette affaire après que le SCRS eut refusé l’an dernier de préciser s’il avait déjà mené des opérations de surveillance directe ou indirecte aux dépens de journalistes, même si l’un de ses dirigeants, Brian Rumig, s’était engagé devant un comité du Sénat à fournir ces informations aux sénateurs.

Pour justifier cette volte-face, les dirigeants du SCRS avaient alors expliqué dans une lettre au sénateur conservateur Claude Carignan que dévoiler de telles informations risquait de « compromettre l’intégrité des opérations » de l’organisation et de « nuire à sa capacité d’exercer le mandat que le Parlement lui a confié ». « Ainsi, le SCRS est au regret de ne pas pouvoir confirmer si des journalistes ont fait l’objet d’une de ses enquêtes, et ce, même si son représentant s’était engagé à donner une réponse spécifique ».

Breffage du premier ministre

Dans le passé, le bureau du premier ministre a été informé de manière régulière par ses conseillers en matière de sécurité nationale des activités d’espionnage menées par des agents étrangers au Canada.

« Dans les séances de breffage hebdomadaire que recevait le premier ministre sur les questions de sécurité nationale, les activités d’espionnage menées par des officiels chinois ou encore des journalistes chinois étaient évoquées régulièrement », a confirmé une source conservatrice, qui a exigé l’anonymat afin de discuter librement de ce dossier.

Selon d’anciens proches collaborateurs de Stephen Harper, les activités d’espionnage menées par les agents chinois, combinées au piètre bilan de la Chine en matière de respect des droits de la personne, expliquent en bonne partie pourquoi l’ancien premier ministre a souvent soufflé le chaud et le froid au chapitre des relations canado-chinoises.

« On tenait donc pour acquis que les journalistes chinois et les officiels de l’ambassade étaient au Canada d’abord et avant tout pour faire de l’espionnage. Et on agissait en conséquence », a ajouté cette source conservatrice.

L’affaire Dechert

Le cas de l’ancien député conservateur Bob Dechert a illustré toute l’importance de se méfier des journalistes chinois, rappelle un ancien dirigeant du SCRS. En septembre 2011, il avait été révélé que M. Dechert avait échangé des courriels dragueurs avec une journaliste de l’agence Xinhua, Shi Rong, qui travaillait à partir de Toronto. À l’époque, M. Dechert était secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères John Baird et avait donc accès à certains documents confidentiels du cabinet.

« Tu es tellement belle. J’aime beaucoup cette photo de toi près de l’eau avec tes joues arrondies. C’est tellement mignon. J’aime ça quand tu fais cela. Maintenant, tu me manques encore plus », avait notamment écrit M. Dechert dans un de ses courriels, qui avaient été piratés par le mari de Shi Rong et diffusés par la suite à certains journalistes.

« Il est tombé dans un guet-apens à caractère sexuel [honeytrap] que lui a tendu une journaliste chinoise. Cela démontre bien qu’il faut se méfier d’eux. Et les Américains vous diraient la même chose », a souligné notre source conservatrice.

Les experts en matière de renseignements et de sécurité étaient unanimes à l’époque. M. Dechert avait commis un geste répréhensible qui méritait de faire l’objet d’une enquête de la part du SCRS.

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