Budget du Québec

Variations sur le thème de la résilience

Eric Girard présentait jeudi un budget intitulé « Un Québec résilient et confiant ». L’ironie veut que l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) ait récemment publié une étude identifiant des moyens de construire une économie plus résiliente dans les prochaines années. Les ressemblances s’arrêtent cependant ici.

Pour le gouvernement caquiste, faire preuve de résilience signifie s’adapter, contre vents et marées, aux crises créées par l’économie hypercapitaliste. Compris ainsi, le concept suscite la méfiance chez plusieurs étant donné les faits qui s’accumulent et font la preuve du potentiel destructeur de ce modèle économique débridé.

Pour l’IRIS, le projet d’une société résiliente fait plutôt référence aux transformations de l’économie nécessaires pour endiguer la triple crise sanitaire, climatique et inégalitaire qui met à l’épreuve la société québécoise. Il s’agit entre autres d’accélérer la transition écologique, de soustraire de l’impératif du profit une partie de l’activité économique et d’en démocratiser l’organisation.

De ce point de vue, le troisième budget Girard déposé le 25 mars est affligeant. C’est le budget d’une province qui se contente du statu quo alors qu’à travers le monde, les idées pour remédier à ces crises foisonnent.

L’environnement encore oublié

Au chapitre de l’environnement, on est de retour à la « CAQ départ ». Dans son budget de l’an dernier, le gouvernement avait redoublé d’efforts pour vanter les mérites de son conservatisme vert. Cette année, les considérations écologiques sont reléguées à des notes de bas de page. Les rares mesures environnementales du plan budgétaire 2021-2022 sont ridiculement basses, comme cette annonce de 6 millions de dollars sur cinq ans pour le développement de l’économie circulaire.

Le gouvernement rate ainsi complètement l’opportunité de favoriser une transition verte en investissant dans de nouveaux secteurs économiques. En repoussant à plus tard les impératifs d’une transition juste, le budget contribue à mettre le Québec sur la voie d’une adaptation brusque et chaotique.

L’exception québécoise

Le Québec fait bande à part alors qu’aux États-Unis, en Europe et même au Canada, l’heure est plutôt aux politiques budgétaires et monétaires non conventionnelles. Le contraste est en effet frappant entre la gestion québécoise de la pandémie et celle du gouvernement fédéral, qui a vite pris l’initiative d’appuyer massivement les travailleuses et les travailleurs ainsi que les entreprises, quitte à réaliser un important déficit. Aux États-Unis, les transferts fédéraux votés dans le plan de relance du président Joe Biden atteignent un niveau qui semble annoncer le retour en force d’un certain keynésianisme et qui pourrait avoir pour effet de réduire les inégalités dans ce pays pour la première fois depuis des décennies.

Certes, le gouvernement québécois a fait une première concession en matière de discipline fiscale en faisant passer de cinq à sept ans la période légale pour renouer avec l’équilibre budgétaire. Mais l’architecture budgétaire du Québec demeure intacte et la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations adoptée en 2006 sous le gouvernement de Jean Charest continue de rogner la marge de manœuvre de l’État sous prétexte d’atteindre des objectifs désuets. Comme l’écrivait récemment l’économiste Pierre Fortin, le Québec « poursuit la dernière guerre » plutôt que chercher à gagner les prochaines.

Préparer la prochaine crise

À ce jour, plusieurs continuent d’affirmer que le Québec était bien positionné en matière de finances publiques pour faire face à la crise actuelle. Les coupes budgétaires imposées pour accumuler les importants surplus qu’affiche le gouvernement ont pourtant très mal positionné le Québec face à la pandémie. Ce faisant, les statistiques québécoises de réduction de la dette détonnent autant avec le reste du Canada que celles du nombre de morts de la COVID-19.

Il y aurait donc bien davantage à faire pour réparer les dommages de l’austérité et préparer la prochaine pandémie. Le gouvernement, obnubilé par les promesses des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, aurait mieux fait, pour viser une véritable résilience, de consacrer des sommes plus importantes à la construction de logements sociaux. Il aurait aussi pu se donner les moyens de lutter contre le racisme afin de donner confiance dans l’avenir à l’ensemble de la population du Québec.

En somme, les crises sanitaire, environnementale et économique actuelles auraient pu amener le gouvernement à changer de formule pour répondre aux problèmes les plus urgents. Il semble pourtant qu’elles n’auront pas stimulé l’imagination du gouvernement caquiste en matière de politiques sociales et économiques.

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