Corruption durant la crise de COVID-19

Le président du Viêtnam démissionne

Montré du doigt comme premier responsable d’un scandale de corruption et de pots-de-vin, survenu en pleine crise de la COVID-19 et dont les ramifications s’étendent jusqu’au Québec, le président du Viêtnam, Nguyen Xuan Phuc, a été forcé de donner sa démission mardi. Mais cette histoire cache aussi des luttes internes au sein du Parti communiste dirigeant le pays.

Même si la fonction de président est largement cosmétique, un tel départ est d’une grande rareté dans un pays comme le Viêtnam, où le pouvoir est entre les mains du Parti communiste cherchant constamment à garder une image de stabilité.

Or, le dévoilement au grand jour de deux scandales financiers a entraîné la démission de quelques dizaines de hauts fonctionnaires et dirigeants politiques.

Ceux-ci ont été mêlés à des histoires de pots-de-vin versés par une entreprise, Viet A Technologies, à des fonctionnaires pour qu’ils approuvent l’usage de tests de dépistage de la COVID-19.

L’autre scandale a eu des ramifications partout dans le monde et impliquerait des employés d’ambassades qui ont vendu à prix d’or des sièges à bord d’avions nolisés ramenant des Viêtnamiens à la maison, dont de nombreux étudiants inscrits dans différentes universités.

« J’ai des étudiants qui ont acheté des billets d’avion à 5000 $ sans qu’on leur remette de facture. Pour moi, c’est extrêmement choquant », indique Danielle Labbé, professeure agrégée à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal et rattachée au Centre d’études asiatiques.

Ce que confirme aussi Luong Tu, professeur de science politique à l’Université de l’Oregon à Eugene. « Des gens ont payé 5000 $ et même plus pour rentrer au Viêtnam. À leur arrivée, on les envoyait dans des camps isolés où ils payaient les frais de séjour. »

Salué pour sa gestion de la pandémie

Nguyen Xuan Phuc était premier ministre du Viêtnam au moment où ces faits sont survenus. Comme il était à la tête de la machine gouvernementale, il en paie maintenant le prix. Et ce, même si, à l’époque, on avait salué sa gestion de la pandémie.

Lorsque la crise de la COVID-19 a éclaté, le Viêtnam s’est pratiquement isolé du reste du monde. Les frontières ont été fermées.

« Le pays s’était fermé aux vols commerciaux. Les gens qui tentaient de rentrer l’ont fait par des vols nolisés orchestrés par les ambassades. »

– Danielle Labbé, professeure agrégée à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal et rattachée au Centre d’études asiatiques

C’est là que les choses ont dérapé. « Le ministre des Affaires étrangères et celui de la Santé ont tous deux été limogés en raison du scandale du prix des billets », note le professeur Luong Tu.

Quant aux pots-de-vin versés par l’achat des tests de dépistage de Viet A Technologies, il résume ainsi la situation : « L’entreprise a acheté ces tests bon marché en Chine. Elle les revendait à plusieurs fois le prix payé en affirmant que c’était un produit innovant. »

Dès juin 2022, les têtes ont commencé à rouler dans la foulée de la mise au jour des malversations. Le ministre de la Santé, Ngoc Anh, et le maire d’Hanoï, Nguyen Thanh Long, ont été arrêtés. Deux vice-premiers ministres, le ministre des Affaires étrangères et le grand responsable de la lutte contre la COVID-19 au Viêtnam ont été limogés cette année.

En tout, une centaine de personnes auraient été arrêtées dans le scandale du rapatriement et 37 seraient reliées à celui des tests de dépistage. En versant quelque 34 millions US en pots-de-vin, Viet A Technologies se serait enrichie de 172 millions.

Luttes intestines

Par ailleurs, plusieurs observateurs estiment que d’importantes luttes intestines se dissimulent sous ce scandale ayant éclaboussé plusieurs dirigeants du parti. Comme en Chine, le Parti communiste dirige le pays, et les décisions sont concentrées au Politburo, composé de 16 membres. Or, plusieurs factions s’y affrontent.

« Normalement, le secrétaire du Politburo, Nguyen Phu Trong, devrait tirer sa révérence dans trois ans et, comme toujours, différentes factions s’affrontent pour la suite des choses. C’est le moment idéal pour une faction de mettre au jour le linge sale de l’autre pour prendre l’avantage. »

– Luong Tu, professeur de science politique à l’Université de l’Oregon à Eugene

Selon la professeure Nhu Truong, qui enseigne à l’Université Denison en Ohio, les tiraillements actuels s’articulent aussi sur la question pour le Viêtnam de s’aligner ou non sur le Parti communiste chinois.

« Pendant quelques années, Nguyen Phu Trong a concentré les deux jobs de secrétaire du Politburo et de président du pays, une fonction qu’il a abandonnée en 2021, dit cette chercheuse qui a fait son doctorat à l’Université McGill. C’était un précédent, mais c’est ce que fait Xi Jinping à Pékin. Il faudra maintenant surveiller comment les choses vont s’orienter à la tête du pays. Est-ce qu’on va s’aligner sur la Chine ou non ? »

Tant M. Lu que Mme Truong ne s’attendent pas à ce que Nguyen Xuan Phuc soit davantage sanctionné à la suite de son départ.

– Avec l’Agence France-Presse et Associated Press


EN SAVOIR PLUS

800
Nombre d’avions nolisés par le Viêtnam après la fermeture de ses frontières pour rapatrier des citoyens viêtnamiens installés dans une soixantaine de pays.

Source: SOURCE : AGENCE FRANCE-PRESSE

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