Quartiers vulnérables

Les « initiatives de proximité » au cœur de la solution

Logements insalubres et insuffisants, travailleurs vulnérables, sous-financement communautaire : plusieurs raisons expliquent pourquoi les quartiers plus vulnérables de la métropole, comme Montréal-Nord ou Saint-Léonard, ont été durement frappés par la COVID-19. À l’heure où le Québec se déconfine, des approches « chirurgicales » et ciblées y semblent donc plus urgentes que jamais.

« Il faut qu’on développe davantage le modèle de citoyen-relai. Ça veut dire d’impliquer le citoyen dans les modèles d’intervention, dans la prise de parole, de décisions, bref s’inspirer des initiatives de proximité qui ont été créées pendant la pandémie, par et pour les citoyens. C’est le temps de prendre un recul sur ces expériences et de voir ce qu’on retient pour les prochaines crises », explique la chercheuse au centre de recherche InterActions et professeure associée à l’École de travail social de l’UQAM Isabelle Ruelland, spécialiste des questions de santé de proximité.

À ses yeux, le réseau de la santé « n’a pas du tout répondu aux besoins » au début de la pandémie, « en matière d’accès à l’information ».

« Ce sont les organismes communautaires qui ont sauvé la face pour renverser la tendance et les très hauts taux de contamination. Ce réseau, il doit être mieux financé, et il doit être beaucoup plus impliqué. Il connaît mieux les réalités que quiconque. »

— Isabelle Ruelland, chercheuse spécialisée sur les questions de santé de proximité

Une récente étude à laquelle a participé l’Université McGill montre d’ailleurs que dans 16 grandes villes canadiennes, dont Montréal, 50 % des cas de COVID-19 se sont concentrés dans des zones regroupant moins de 21 % à 35 % de la population.

Ce constat est « frappant » pour l’un des auteurs de l’étude, l’épidémiologiste Mathieu Maheu-Giroux. « Ça montre qu’on pourrait mieux contrôler la COVID-19 en ayant des approches ciblées sur les zones névralgiques, à forte activité virale. Ce n’est pas juste à Montréal que cette réalité s’observe. Ça va prendre des interventions plus chirurgicales géographiquement lors d’éventuelles prochaines vagues », affirme-t-il.

Après la première vague, le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal confirme avoir changé sa stratégie, en « multipliant » les projets ciblés, dont plus de 1300 « missions de sensibilisation » dans les quartiers et 250 cliniques mobiles et éphémères de vaccination. « On a collaboré avec le réseau communautaire, qui a déjà un lien de confiance avec les usagers, pour vacciner dans des mosquées, des églises chrétiennes, des centres d’accueil. Ça a super bien fonctionné », affirme la porte-parole Marie-Hélène Giguère. Pour aller plus loin, une nouvelle antenne de CLSC doit voir le jour d’ici mai 2022, dans le nord-est de Montréal-Nord, afin d’atteindre une population de 15 000 personnes qui vivent dans moins d’un kilomètre carré.

S’attaquer au logement

« Cette pandémie a bien mis en lumière un problème fondamental : la surpopulation dans les logements. De grandes familles qui vivent dans un quatre et demi, c’est beaucoup trop fréquent. Il faut s’en occuper », lance Guillaume André, fondateur et directeur du Centre communautaire multiethnique de Montréal-Nord.

Dans cet arrondissement, le taux de mortalité de COVID-19 pour 100 000 personnes frise les 450 personnes, alors que la moyenne montréalaise n’est que de 255, selon des données de la Santé publique de Montréal. Le taux de vaccination y est aussi plus faible, à 76 %, contre 85 % en moyenne. Montréal-Nord a aussi été l’arrondissement où le taux de cas de COVID-19 pour 100 000 personnes a été le plus élevé pendant plusieurs mois. La situation s’est toutefois beaucoup améliorée au cours des dernières semaines. Cela dit, plusieurs autres secteurs, dont Saint-Michel, Saint-Léonard ou encore Saint-Laurent, ont également été durement touchés au plus fort de la crise.

Comme M. André, le documentariste et cofondateur de l’organisme Hoodstock Will Prosper rappelle que dans le nord-est de Montréal, plusieurs quartiers « composent avec des enjeux structurels ». « Les gens vivent dans des appartements insalubres, avec une grande proximité, ils prennent plus le transport collectif, ce sont des travailleurs de première ligne. Malheureusement, ces endroits sont toujours plus touchés. »

« La plupart des gens ne connaissent pas les organismes communautaires ou ce que l’arrondissement et le CIUSSS peuvent offrir. Il y a des enjeux de communication majeurs. Si on pouvait déjà commencer à s’y attaquer, avec des services de proximité plus accessibles et plus de logements, ça ferait une grosse différence.  »

— Will Prosper, cofondateur de l’organisme Hoodstock

« Pas qu’une façon de faire face à une crise sanitaire »

« Si on peut retenir quelque chose de la pandémie, c’est qu’il n’y a pas qu’une façon de faire face à une crise sanitaire et qu’une approche unique et centralisée ne prend pas en compte les réalités », martèle de son côté la directrice de Concertation Saint-Léonard, Sabrina Fauteux.

Pour elle, Saint-Léonard a entre autres été très touché par la COVID-19 « parce que les cliniques ont tardé à venir et sont parties très tôt d’ici ». « Dès octobre, les gens devaient aller jusqu’au Stade olympique ou à Chauveau. On comprend pourquoi beaucoup de gens ne sont pas allés se faire tester, voire chercher leurs deuxième et troisième doses », poursuit Mme Fauteux.

Brunilda Reyes, directrice des Fourchettes de l’espoir, organisme distribuant des paniers alimentaires, est du même avis.

« On parle de croissance, de relance, mais dans nos quartiers, les ressources ne sont pas restées. »

— Brunilda Reyes, directrice des Fourchettes de l’espoir

« Je ne vois pas de solutions durables pour aider ces populations. C’est comme si on n’avait pas appris de la pandémie, affirme Mme Reyes. On fournit encore trois fois plus de paniers qu’en temps normal. C’est maintenant qu’on doit s’occuper de la précarité, pas lors d’une prochaine vague. »

La députée libérale provinciale de Bourassa-Sauvé, Paule Robitaille, dit aussi militer depuis un moment pour obtenir un « financement adéquat » du réseau communautaire. « S’il y a quelque chose qu’on a appris durant la pandémie, c’est l’importance de savoir parler à toutes les clientèles et de ne pas avoir une approche mur-à-mur », raisonne-t-elle. « L’idée des cliniques éphémères, c’était très bien, mais il va falloir aller plus loin. Ça veut dire beaucoup plus de flexibilité et une approche terrain nettement plus soutenue. C’est la seule façon de vraiment protéger ces quartiers », conclut-elle.

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