Science

Le « bois de lune » fait des sceptiques

Des arbres abattus juste après la pleine Lune donneront du bois plus sec, plus dense et plus résistant : si ces vieilles légendes de bûcherons semblent farfelues, elles sont aujourd’hui reprises par des entreprises et soutenues par des études scientifiques. Mais attendez avant de vous bâtir une maison en « bois de lune » : les experts consultés par La Presse sont extrêmement sceptiques.

La légende

Théophraste, élève d’Aristote, l’a proclamé quelques siècles avant Jésus-Christ : le bois coupé lorsque la Lune décroît est plus dur et moins susceptible de moisir. Depuis, des légendes similaires ont circulé parmi les bûcherons, tant en Amazonie et en Finlande qu’en Corée du Sud. Et ne croyez pas qu’elles sont mortes. Holz100, entreprise allemande qui possède une division canadienne, affirme récolter son bois seulement l’hiver, pendant « une phase précise de la Lune » afin qu’il soit « plus résistant aux insectes et aux moisissures et donc plus durable ».

L’expérience

Se disant intrigué par l’universalité de ces traditions, le chercheur suisse Ernst Zürcher, professeur en sciences du bois à la Haute École spécialisée bernoise et chargé de cours à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et à l’École polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse, a fouillé la question. Il a étudié le bois de 432 épicéas et de 144 châtaigniers coupé à différentes dates pour voir si les phases lunaires en influençaient la qualité.

« Il y a un phénomène petit, mais significatif », tranche le chercheur, en entrevue à La Presse. Son étude, publiée dans une revue sérieuse avec comité de lecture (Trees), affirme que le contenu en eau et la densité relative du bois sont influencés par les phases de la Lune. Notons que le professeur Zürcher a déjà publié une recherche sur l’influence de la lune sur la croissance des plantes dans la prestigieuse revue Nature.

L’explication de l’entreprise

Mais comment diable la Lune pourrait-elle influencer les arbres ? Dans une explication fournie à La Presse, l’entreprise Holz100 avance que « la croissance de la Lune provoque la montée de la sève dans le bois, tandis que sa décroissance de la Lune cause sa descente ». 

« Vous avez fait notre journée avec ça, au bureau ! », s’esclaffe Robert Lamontagne, astronome à l’Université de Montréal. L’expert rappelle que ce n’est pas parce que la Lune est pleine qu’elle exerce une force plus grande sur la Terre. « Les phases de la Lune sont un jeu d’ombre et de lumière », rappelle-t-il. Oui, la force d’attraction de la Lune a une influence sur les gigantesques masses d’eau que sont les océans, mais selon un cycle d’environ 12 heures, pas de 28 jours comme celui gouvernant les phases de la Lune. Le professeur Lamontagne affirme que, de toute façon, ces forces sont de plusieurs ordres de grandeur trop faibles pour influencer la sève d’un arbre.

Alexis Achim, professeur au département des sciences du bois et de la forêt à l’Université Laval, soulève un autre problème : même si la sève brute pouvait être influencée par la Lune, ce dont il doute fortement, elle ne circule que dans une mince partie de l’arbre appelée l’aubier. Le cœur de l’arbre, duquel on fait les planches, ne serait même pas touché par le phénomène.

L’explication du professeur Zürcher

Le professeur Ernst Zürcher invoque une autre explication. Il faut savoir qu’un arbre contient de l’eau dite libre, qui peut y circuler, et de l’eau « liée », qui est rattachée aux cellules de bois. « Le rapport de l’eau libre sur l’eau liée change selon la date d’abattage par rapport aux phases lunaires », affirme le professeur Zürcher en entrevue. Selon lui, un arbre qui contient plus d’eau liée sera plus difficile à sécher et se fissurera davantage lors du séchage. Il sera moins solide et plus prompt à moisir.

Du « charlatanisme »

Convaincant ? Notre expert en bois Alexis Achim parle de « fabulation », tandis que l’astronome Robert Lamontagne évoque le « charlatanisme ». Premier hic majeur : Ernst Zürcher parle « d’effets électromagnétiques » pour expliquer ces changements entre l’eau libre et l’eau liée. « La Lune est électriquement neutre et ne produit donc pas de tels effets », réplique Robert Lamontagne.

Deuxième problème : le bois dont on fait les planches est formé de cellules mortes. Si la Lune a un effet cyclique sur elles, pourquoi cet effet s’arrête-t-il soudainement quand on abat l’arbre ? « Le bois ne perd pas ses propriétés hygroscopiques après que l’arbre a été coupé, explique Alexis Achim, de l’Université Laval. Si la Lune a bel et bien un effet sur l’hygroscopicité du bois, ce même effet devrait continuer une fois l’arbre abattu ! »

M. Achim souligne aussi que les entreprises sèchent le bois jusqu’à atteindre un pourcentage d’humidité bien précis. Le fait que le bois contienne plus ou moins d’eau liée ne changera rien, selon lui : le temps de séchage sera adapté et ses propriétés finales seront les mêmes. Il plaide finalement que si le bois est utilisé à l’intérieur, la possibilité qu’il moisisse est de toute façon inexistante. La propriété du fameux « bois de lune » qu’on essaie de nous vendre ne servirait donc à rien.

« À mon avis, c’est encore au-dessus de l’homéopathie, conclut le professeur Achim. C’est comme si on tentait de vendre des remèdes homéopathiques pour prévenir le paludisme… au Nunavik. »

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