Opinion

L’avenir du Québec passe par la citoyenneté et non les identités

Depuis déjà quelque temps, le Québec a importé des États-Unis la « politique des identités » (identity politics), bien malgré lui. Cette politique consiste à classer les individus par groupes identitaires, soit par rapport à leur « race », leur religion, leur sexe, etc. Le débat qu’elle génère s’est particulièrement envenimé récemment avec les multiples tentatives de faire adopter comme sainte vérité l’idéologie du racisme systémique. Heureusement, le Québec résiste encore à cette idéologie nuisible au combat contre le racisme, comme je le mentionnais dans mon dernier texte⁠1.

Pour certains, il s’agirait d’un enjeu passager, pour d’autres, il s’agirait d’un progrès, mais pour plusieurs, et je m’inclus dans ce nombre, la racialisation de notre société sera un enjeu majeur de division au cours des prochaines décennies si nous ne réagissons pas dès maintenant.

Je refuse de vivre dans une société où la « race » d’un individu est l’élément caractéristique premier qui définit ses interactions avec ses pairs et l’État, ni dans une société qui fait primer l’identité raciale de ses citoyens sur leur identité collective, leur citoyenneté et leur condition socio-économique.

Nous devons poursuivre notre lutte contre le racisme et la discrimination, mais toujours tout ramener à la « race » des individus et percevoir du « racisme systémique » partout n’est pas souhaitable, au contraire. Cela mène plutôt à de tristes dérapages comme nous avons pu le constater récemment avec ce concours du département de biologie de la faculté des sciences et de génie de l’Université Laval, où les candidatures n’appartenant pas à certains groupes identitaires précis sont exclues sans même considérer leur mérite ; on ne parle plus de favoriser un groupe identitaire à compétence égale, mais bien d’exclure d’office des candidats selon leur appartenance à des groupes identitaires. Et le plus effrayant dans tout cela, c’est qu’il s’agit d’une répétition d’autres cas à l’Université Concordia, à l’Université McGill, à l’Université d’Ottawa et à plusieurs autres universités québécoises et canadiennes.

D’ailleurs, je suis encore dérouté par le cas de ce professeur primé de l’Université McGill, Patanjali Kambhampati, qui s’est récemment vu refuser deux subventions de recherche par le gouvernement canadien parce qu’il souhaitait simplement engager les meilleurs étudiants. En effet, son projet de caractérisation de matériaux au moyen de la spectrométrie par laser fut refusé puisque « les considérations d’Équité, Diversité et Inclusion (EDI) de sa demande ont été jugées insuffisantes », et ce, même si les mérites scientifiques de sa proposition de projet étaient sans reproche. En fait, il tenait simplement à engager son équipe de chercheurs « en se basant sur leur mérite, indépendamment de leur appartenance identitaire ». Pour ce professeur émérite d’origine indienne et ayant immigré à Montréal en 2003, son péché mortel aura été de prôner l’universalisme, soit une vision du monde qui caractérise les individus selon leurs capacités et leur mérite, et non selon leur appartenance à un groupe identitaire.

Il importe de souligner que ces dérives inacceptables découlent du multiculturalisme canadien et de l’ingérence du gouvernement canadien dans nos universités québécoises.

En effet, depuis 2018 et à l’initiative du gouvernement Trudeau, tout chercheur faisant une demande de fonds à l’un des trois conseils subventionnaires du Canada (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, Instituts de recherche en santé et Conseil de recherches en sciences humaines) doit remplir une déclaration EDI. Ce professeur de McGill qui voulait embaucher au mérite a vu sa demande être exclue par cette mécanique. Aussi, ces trois conseils subventionnaires du Canada soumettent nos universités à des quotas découlant de la philosophie EDI, en se basant sur les moyennes statistiques canadiennes sans refléter leur réalité locale. Au dire de l’Université Laval, elle ne peut déposer de candidatures autres que celles de sous-groupes identitaires précis « tant que ses cibles de représentation ne sont pas atteintes, et ce, conformément aux exigences du Programme des chaires de recherche du Canada ». Il en allait de même pour toutes les dérives récentes semblables au sein d’autres universités québécoises et canadiennes.

On rappellera ici que l’enseignement supérieur, et donc l’embauche de professeurs, est un domaine de compétence exclusif du gouvernement du Québec. Ces dérives sont donc la conséquence directe de l’ingérence du gouvernement canadien dans les champs de compétences du Québec, rendue possible par le pouvoir fédéral de dépenser. Ces dérives ne sont pas une fatalité, et il est possible pour les Québécois de prendre des mesures pour qu’elles ne se reproduisent plus.

Ce qui nous ramène à cette dure réalité, soit que le Québec doit encore et toujours se battre pour exister et faire vivre sa vision de la société. Nos différences sont souvent une force, car elles nous permettent de jumeler des expertises et des expériences complémentaires, mais au Québec, elles doivent s’inscrire dans une conception universaliste de la société, ancrée autour des valeurs québécoises que sont le français langue commune, la laïcité de l’État et l’égalité entre les hommes et les femmes. Face à ces dérives de l’individualisme radical, le Québec doit revenir aux concepts qui permettent de retrouver le sens du commun, soit la citoyenneté, la défense de l’intérêt général et la nation. En effet, une nation est unie par le sens du bien commun, alors que cet individualisme radical vise plutôt à remplacer ce bien commun par le bien de chacun.

1. Lisez « Racisme systémique : une idéologie nuisible au combat contre le racisme »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.