Femmes caméléons

À l’âge de 17 ans, déjà, j’avais reçu des diagnostics de bipolarité, de trouble de la personnalité limite, de dépression, d’anxiété généralisée et de troubles obsessionnels compulsifs.

Chaque fois qu’on m’annonçait une autre maladie mentale, je ressortais du cabinet du médecin avec une posologie m’indiquant le dosage du nouveau médicament à prendre. J’en aurai pris en tout une dizaine, antidépresseurs et antipsychotiques confondus. Trop gelée, j’ai perdu de grands bouts de mon adolescence. Comme dans la comptine Changez de côté, vous vous êtes trompés, les diagnostics étaient rayés l’un après l’autre.

J’ai cherché longtemps. J’ai vu des dizaines de psychologues, j’ai fait des thérapies. Incapable de travailler pour subvenir à mes besoins, j’ai rempli ma demande d’aide sociale à 18 ans. Ma vie de femme a débuté à 23 ans par une grossesse et, comme toute bonne maman, j’ai toujours tout donné en ayant cette même trame de fond : une grande détresse.

Je me suis moulée à vous pour survivre, j’ai changé mes couleurs chaque fois que j’ai débuté un nouvel emploi de fin de semaine. Je vous ai regardés et j’ai enregistré tout ce que je devais faire pour être des vôtres. À 26 ans, j’avais arrêté mon plan : en finir avec la vie. Ma fille avait 3 ans.

À quoi bon continuer si j’étais un mystère pour tous et, surtout, pourquoi rester si vivre était à ce point souffrant ? J’ai eu cette grande chance d’être dérangée dans mon ultime mise en scène. Petit à petit, chaque jour, je me suis relevée. À 30 ans, j’ai fondé mon entreprise de peinture sur porcelaine, misant sur mon talent pour pouvoir m’offrir ce luxe de travailler seule de la maison.

Même si j’avais relevé le défi de vivre de mon art, comme la peau du caméléon qui change de couleur sous le stress, j’ai continué de broyer du noir – jusqu’à ce que Véronique Cloutier et Louis Morissette mettent en vente leurs premiers chandails « Différents comme toi », en 2018, afin d’amasser des fonds pour les adultes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme.

Après avoir commandé le mien, je suis tombée sur une page parlant des femmes autistes. Au fur et à mesure que je cochais les critères, je reculais sur ma chaise.

J’ai tapé le nom de Louis T. dans Facebook et je lui ai demandé conseil, lui qui venait de recevoir un diagnostic d’Asperger. Si sympathique, sa réponse m’a hantée pendant quelques semaines :

« Cela dit, il se pourrait quand même que vous ayez des traits sans nécessairement obtenir le diagnostic. Dans ce cas, ne vous découragez pas. La démarche pourrait tout de même vous avoir servi à mieux vous connaître. »

Le 22 juin 2018, après des heures d’évaluations, je fondais en pleurs sur ma chaise devant la psychologue de la clinique Asperger & Autisme, à Montréal. À 38 ans, j’apprenais enfin que je n’étais pas folle : j’étais une femme autiste à haut niveau de fonctionnement, ou Asperger.

Ma quête était terminée, je pouvais enfin me poser et, pour la première fois, vivre.

C’est lorsque j’ai approfondi mes recherches au sujet des femmes autistes diagnostiquées tardivement que j’ai constaté que mon histoire n’était pas unique. L’autisme n’est ni un trouble psychologique ni une maladie mentale. Il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental, et les comorbidités (dépression, anxiété, troubles alimentaires) sont relevées, mais sans plus.

Il est normal de ne pas suspecter l’autisme chez la femme puisque, jeunes filles, nous acquérons très tôt la capacité d’imiter nos pairs et de devenir des professionnelles dans l’art du camouflage ; nos critères sont donc moins perceptibles que chez les garçons. Je suis la première heureuse de voir des documentaires visant à sensibiliser la population sur le cas des enfants vivant avec ce trouble, mais en éclairant une seule partie du spectre, l’autre reste dans l’ombre.

J’ai annoncé ma bonne nouvelle à deux médecins et voici la réponse que j’ai reçue :

« T’es pas autiste, tu parles et tu me regardes dans les yeux. Tu peux pas attraper ça à 38 ans, comme ça… »

J’ai compris alors que nous étions en train de perdre beaucoup de jeunes filles et de femmes en détresse. Même si nous parlons, si nous nous forçons souvent à regarder les gens dans les yeux et si nous sommes des femmes d’affaires, des mamans, des entrepreneures et des professionnelles, nos défis quotidiens restent énormes.

Cette phrase de Nicole Adagio résume parfaitement nos vies : « Les Asperger sont doués pour presque tout, sauf pour les choses ordinaires. »

En tant que société évoluée et intelligente, en 2021, nous en sommes rendus là : à devoir, impérativement et collectivement, reconnaître la femme autiste et l’inclure dans la société. Si je ne me trompe, pour le moment, il n’y a qu’en clinique privée qu’un diagnostic d’autisme à l’âge adulte peut être donné rapidement. Beaucoup de femmes m’ont confié être en attente d’un rendez-vous au public depuis plusieurs années.

J’ai toujours voulu être auteure, mais jusqu’à ce que je sache ce qui me différenciais, je n’avais pas la tête libre pour le faire. J’étais continuellement en quête. En sortant du rendez-vous qui a changé ma vie, c’est une des premières pensées que j’ai eues : enfin, je peux maintenant écrire.

Mon roman qui sortira à l’automne a pour sujet l’autisme au féminin. Je l’ai écrit pour toutes les petites filles, les adolescentes et les femmes qui savent depuis toujours qu’elles sont différentes.

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