La formule suédoise
Anna Serner croit qu’il faut exercer un suivi plus serré du financement public des films. Ainsi, en Suède, depuis 2000, la proportion des films réalisés par des femmes qui ont reçu un financement public est passée de 19 % à 44 %. Le financement des films scénarisés par des femmes a également augmenté, passant de 26 % à 46 %, alors que la proportion de films produits par des femmes a grimpé de 28 % à 56 %.
Ces investissements ont porté leurs fruits : en 2015, sur les sept films qui représentaient la Suède à la Biennale de Berlin, 71 % étaient réalisés par des femmes alors qu’ils représentaient 80 % des six films suédois présentés au TIFF et 33 % des six films suédois présents à Cannes. « L’objectif n’est pas d’avoir 50-50 tout le temps, précise Anna Serner. Parfois, il peut y avoir plus de films faits par des femmes et parfois moins. »
Monique Simard, présidente et chef de la direction de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), envisage de faire la même chose.
En Suède, on a mis sur pied un programme qui met en lien une réalisatrice débutante avec une réalisatrice d’expérience. On lui apprend comment mener son projet de A à Z, comment négocier son salaire, comment naviguer dans le monde de la production, etc.
Au Québec, il existe un programme de mentorat mis sur pied par Femmes du cinéma, de la télévision et des médias numériques, une association à but non lucratif fondée en 1991. Ce programme fonctionne très bien, assure Monique Simard de la SODEC.
« Un des enjeux de l’égalité hommes-femmes est la visibilité des femmes, affirme Anna Serner. On entend souvent dire : il n’y a pas de femmes cinéastes, je n’en connais pas. Nous avons décidé de répondre à chaque argument du genre par une action concrète. Il existe désormais un portail des femmes cinéastes originaires des pays nordiques. Oui, ça coûte de l’argent. Nous avons investi environ 50 000 $US pour construire le site, le mettre à jour, etc. C’est plus qu’une vitrine, c’est un outil de marketing. »
Au Québec, la SODEC finance entre autres le site de Réalisatrices équitables, un organisme à but non lucratif fondé en 2007 qui compte environ 200 membres et qui fait la promotion de l’égalité hommes-femmes dans le domaine de la réalisation. Cet organisme est en outre à l’origine de nombreuses études sur la présence des femmes dans l’industrie du cinéma au Québec.
« Nous sommes allés voir ce qui se passait à l’école afin de comprendre pourquoi, à la fin de leur formation, les garçons sont plus nombreux que les filles à se diriger vers la réalisation, souligne Anna Serner. Nous avons examiné la formation, l’attitude des professeurs, etc. Nous avons entre autres remarqué que lorsque les filles expriment le souhait de réaliser des films, elles se font dire que c’est un milieu compétitif qui n’est pas compatible avec la vie de famille, alors qu’on dira aux garçons : “C’est dur, mais t’es capable, fonce !” » Nous avons également observé que lorsqu’une fille présentait son film dans un concours, on lui parlait davantage des aspects personnels de son film, alors qu’on posait des questions plus techniques aux garçons. C’est là qu’il faut intervenir, car c’est par là que tout commence. »
Pour sa part, la SODEC aimerait mettre sur pied une étude qui consisterait à suivre durant trois ans une cohorte d’étudiants en cinéma de l’Université Concordia afin d’observer l’évolution des étudiants et des étudiantes. « Nous pourrions mener cette étude avec l’aide des chercheuses féministes de l’Institut Simone de Beauvoir », avance Monique Simard, qui souhaite concrétiser ce projet sous peu.
Anna Serner explique qu’elle a revu toutes les structures de l’institut qu’elle dirige (l’équivalent suédois de Téléfilm Canada). L’objectif : identifier les biais invisibles et revoir la notion de qualité en cinéma, une notion subjective qui a nui aux femmes au cours des années.
Monique Simard a pour sa part mis en place un plan d’action à la SODEC afin de s’attaquer aux biais invisibles. Les employés suivent une formation et lors de la prochaine étude de projets, l’examen des candidatures se fera à l’aveugle. Afin de favoriser les projets soumis par des femmes, la SODEC n’exige plus de contrat de distribution pour les films avec un budget de 3 millions de dollars.
Pour illustrer la notion de biais, Monique Simard raconte une anecdote. « Un dimanche après-midi, je suis allée voir un film que nous avions refusé de financer. C’était très bon, j’ai beaucoup aimé. Le lundi matin, j’ai demandé à celui qui avait analysé le projet s’il avait vu le film. Il ne l’avait pas vu. Je l’ai invité à aller le voir. Il m’a remis un long rapport de visionnement. Quand je l’ai lu, j’ai constaté qu’on n’avait pas vu le même film, que nos perspectives étaient totalement différentes. C’est ce que je veux dire par biais et c’est ce sur quoi je veux travailler. »