L’inflation, l’impôt et nous

Voilà bien un quart de siècle que l’on taquine l’inflation avec des conflits armés, des mesures de renflouement (bail-out), des politiques monétaires expansionnistes. Rien ne semblait pouvoir l’ébranler. Mais après plusieurs décennies de dormance, la voici qui frappe fort à nouveau.

La difficulté avec l’inflation, c’est que la plupart des experts aux commandes des politiques n’ont aucune expérience pratique pour y faire face. Ils gèrent avec des théories souvent opposées, ce qui explique, du moins en partie, pourquoi la place publique est inondée de conseils contradictoires pour y faire face. Afin d’arrimer théorie et pratique, j’ai demandé à la légende Vito Tanzi de collaborer à la publication de cet article.

Ancien chef du département des affaires fiscales du Fonds monétaire international (FMI), auteur à succès et instigateur de l’Effet Tanzi, M. Tanzi a conseillé plusieurs pays aux prises avec des crises inflationnistes. Il estime que l’inflation qui nous frappe risque de nous accompagner pendant encore un moment et qu’il faut rester vigilants face aux possibilités de stagflation, de récession ou d’une inflation plus importante.

Présentement, le gros du travail pour faire face à l’inflation repose sur les banques centrales. Ces dernières pourraient privilégier l’approche brutale que Paul Volcker a appliquée aux États-Unis en 1982, qui a mis fin à l’inflation, mais au prix d’une forte récession. De plus, l’économiste nobélisé Joseph Stiglitz estime que même une hausse plus modeste des taux d’intérêt par les banques centrales ralentirait l’investissement nécessaire pour augmenter l’offre, et ne réduirait donc pas l’inflation.

Face à la possibilité que le travail des banques centrales ne soit pas suffisant, ou s’avère excessif, les autorités fiscales n’auraient-elles pas un rôle à jouer dans la lutte contre l’inflation ?

Le rôle de l’impôt

S’il est un point sur lequel les experts et les politiciens s’accordent, c’est que l’augmentation de l’offre globale pourrait aider à contenir l'inflation. La fiscalité peut jouer un rôle à cet égard avec un amortissement accéléré, des crédits d’impôt à l’investissement, des mesures fiscales mieux adaptées au travail à domicile et aux retraités de retour en emploi. Cependant, de telles mesures ne produiraient un impact réel qu’après un certain temps. Il y aurait aussi lieu de songer à assouplir certaines règles gouvernementales qui exigent de l’entreprise moyenne qu’elle n’y consacre pas moins de 85 jours de travail par année (FCEI 2022).

Un autre aspect sur lequel la plupart des experts semblent également s’entendre, c’est que la politique monétaire expansionniste contribue à l’inflation. Pour contrer cela, l’État doit soit réduire les dépenses, soit augmenter les impôts, soit combiner les deux.

Des impôts plus élevés réduisent le revenu disponible et, par le fait même, la demande globale et la pression inflationniste. Mais des taux d’imposition significativement plus élevés peuvent également inciter certains travailleurs à refuser de faire des heures supplémentaires, ce qui contribuerait au problème de l’offre.

De plus, les moins nantis et la classe moyenne, qui sont les plus durement touchés par la hausse des coûts de l’alimentation, de l’essence et du logement, n’ont pas la capacité de supporter une hausse d’impôt. Il faut même songer à leur accorder une réduction d’impôt ou leur verser un montant forfaitaire. Comme l’explique Vito Tanzi, un taux d’inflation qui ne cesse de s’accélérer peut même réduire considérablement la capacité d’un pays à augmenter ses recettes provenant de l’impôt sur le revenu.

Pour les grandes fortunes personnelles et d’entreprises, c’est une autre histoire. Elles se sont enrichies durant la pandémie et leur taux d’imposition effectif est souvent largement inférieur aux taux statutaires et aux attentes d’imposition qu’a la société envers eux.

Par exemple, le 0,01 % des contribuables les plus riches au pays – ces 2875 Canadiens qui disposaient chacun d’un revenu annuel de 8,9 millions de dollars en 2019 – ont eu un taux d’imposition effectif de 30 % (selon Statistique Canada).

Il y a aussi la possibilité de réduire les échappatoires fiscales et les subventions déraisonnables. Par exemple, est-il vraiment nécessaire de permettre à un contribuable de ne payer aucun impôt sur le gain réalisé lors de la vente d’une maison de plusieurs millions de dollars ? Ces transactions ne sont pas négligeables. À Toronto, 426 maisons de plus de 4 millions de dollars ont été vendues en 2021, dont 19 à plus de 10 millions de dollars.

Un autre exemple est la subvention de 12 000 $ (ou l’amortissement à 100 %) accordée à l’achat d’une voiture électrique. Avec le prix de l’essence qui excède 2 $/litre, une telle subvention n’est peut-être plus si utile.

Douze mille dollars, c’est énorme. Quatre millions de personnes vivent dans la pauvreté au Canada et l’aide sociale que chaque bénéficiaire reçoit pour subvenir à ses besoins pendant toute une année est inférieure à 12 000 $. Les sommes économisées en réduisant cette subvention pourraient être allouées aux moins nantis – et servir également à encourager les Canadiens à faire le choix environnemental d’abandonner l’automobile pour le vélo et le transport en commun (comme moi !).

Si le Canada se dirige vers une inflation beaucoup plus élevée et persistante, il faut considérer que l’effet Tanzi pourrait commencer à se manifester. Ce phénomène est causé par le décalage temporel entre le moment où les mesures fiscales sont calculées et le moment où elles sont effectivement appliquées. Par exemple, l’impôt sur le revenu peut mettre plusieurs mois à être perçu. Dans un contexte inflationniste important, ce décalage temporel peut entraîner des pertes substantielles de la valeur réelle des recettes publiques.

En terminant, la semaine dernière à l’Empire Club of Canada, la ministre des Finances Chrystia Freeland a déclaré ceci : « Je ne peux faire aucune promesse aux Canadiens sur la façon dont les semaines et les mois à venir vont se dérouler. » Elle adopte ainsi une position difficile, mais nécessaire, pour ne pas perdre la confiance des citoyens qui ont déjà été confrontés à des promesses démesurées et à des sous-réalisations en matière d’inflation.

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