Opinion

Plaidoyer pour une deuxième Caisse de dépôt

Les Québécois ont raison d’être fiers de leur Caisse de dépôt et placement, qui gère avec efficience les avoirs de leur Régime de rentes et ceux des fonds de pension de presque tous les employés du secteur public. Malheureusement, les employés des municipalités et des universités n’ont pas cette chance.

Je connais un grand nombre de gestionnaires de régimes de retraite des villes et des universités et je sais que ce sont des gens dévoués et compétents. Toutefois, leurs caisses étant plus petites, ils n’ont pas accès aux mêmes ressources, aux mêmes occasions de placement et doivent assumer des coûts plus élevés, qui pénalisent tant leurs participants que leurs employeurs et, en fin de compte, les contribuables.

La Caisse de dépôt et Teachers’, le régime des enseignants ontariens, sont à l’origine du modèle canadien de gestion des fonds de pension, un succès envié partout dans le monde. Montréal abrite une deuxième institution du genre, Investissements PSP, qui gère la cagnotte des fonctionnaires fédéraux. Il est temps d’en créer une troisième pour les employés des municipalités et des universités québécoises.

Le modèle canadien se résume à quelques caractéristiques : une grande taille, qui dégage des économies d’échelle ; une proportion élevée de fonds gérés à l’interne, plutôt que confiés à des firmes privées, ce qui réduit les coûts ; une part importante des placements dans des actifs dits réels, comme l’immobilier et les infrastructures ; un système élaboré de gestion des risques ; une rémunération concurrentielle avec le secteur privé pour attirer les meilleurs gestionnaires ; et une gouvernance rigoureuse assurant l’intérêt à long terme des bénéficiaires et l’indépendance des décisions contre les pressions politiques.

Une étude quantitative vient de démontrer l’indéniable supériorité de cette formule en comparant les coûts et la performance des caisses canadiennes avec les américaines et les européennes.

Les auteurs sont Sebastien Betermier, professeur à McGill, Alexander Beath, Chris Flynn et Quentin Spehner, analystes chez CEM Benchmarking, une firme torontoise qui collige une base de données internationales sur les fonds de pension.*

Les grandes caisses canadiennes (10 milliards de dollars américains et plus) gèrent un peu plus de la moitié de leurs actifs à l’interne, tandis que chez leurs comparables ailleurs dans le monde, c'est un peu moins du quart. Les très grandes caisses canadiennes (50 milliards et plus) administrent elles-mêmes 80 % de leurs actifs, contre 34 % pour leurs vis-à-vis étrangers.

Les économies ainsi réalisées permettent aux caisses canadiennes d’allouer beaucoup plus de ressources à leurs équipes, en analystes, en technologies de l’information et en gestion des risques. Elles peuvent se payer les meilleurs spécialistes.

Les auteurs constatent que cela se traduit d’abord par des coûts un peu plus bas. Les grandes caisses canadiennes affichent une moyenne de 57 cents par 100 $ d’actif, contre 62 cents pour les étrangères.

Une performance supérieure

Les fonds de pension prennent des niveaux de risque variables. On doit donc comparer leurs rendements par unité de risque avec le ratio de Sharpe. Avec une moyenne de 0,93, les grandes caisses canadiennes dominent le classement et battent à plate couture les caisses publiques américaines, qui affichent un 0,48 désastreux. Les grandes sociétés américaines ne font guère mieux à 0,55.

Mais la révélation de cette recherche est la performance supérieure des caisses canadiennes lorsqu’on prend en compte la nature de leurs engagements financiers envers les retraités, qui dans le secteur public profitent souvent d’une certaine protection contre l’inflation.

Cette réussite tient beaucoup au poids trois fois plus grand de leurs investissements dans l’immobilier et les infrastructures, qui bien que dispendieux à gérer, à long terme protègent mieux contre les ravages de l’inflation.

Par exemple, on peut parier que le rendement de la Caisse dans le REM suivra le coût de la vie avec des hausses normales de la tarification. Les grandes caisses canadiennes ont des équipes expérimentées qui développent des projets immobiliers d’envergure, dont les loyers tendent à suivre l’inflation.

Même les plus grandes caisses des municipalités et des universités, avec des actifs variant entre 1 et 5 milliards, n’ont pas cette capacité. Elles doivent se contenter d’une version diluée du modèle canadien, qui fait tout de même mieux que les petites caisses ailleurs dans le monde.

Mais si on confiait la gestion des fonds des quelque 200 régimes municipaux et ceux des universités québécoises à une nouvelle caisse commune, celle-ci, avec un actif supérieur à 50 milliards, pourrait jouer dans la cour des grands. Les régimes et les comités de retraites demeureraient distincts, avec des politiques de placement ajusté à leurs besoins.

À ce jour, Québec a tout confié à la Caisse de dépôt et placement. L’Ontario a plutôt misé sur plusieurs institutions de grande taille, même si elles sont plus modestes que les colosses que sont devenus la Caisse de dépôt et Investissements RPC, qui administre les fonds du Régime de pension du Canada.

Accorder 50 milliards de plus à la Caisse de dépôt, qui compte déjà 340 milliards, ne lui conférerait aucun avantage additionnel. Il serait aussi prudent de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. Créer une nouvelle institution phare serait préférable pour le Québec et les employés des villes et des universités. L’idée mérite un examen approfondi.

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