Serment au roi : la voie de passage

La décision des députés du Parti québécois et de Québec solidaire de ne pas prêter serment au nouveau roi Charles III pose un dilemme presque cornélien sur le plan juridique.

En effet, il faut savoir que l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit notamment l’obligation pour les membres des assemblées législatives provinciales de prêter et de souscrire, avant d’entrer dans l’exercice de leurs fonctions, un serment d’allégeance à Sa Majesté le roi Charles III. Cet article ne prévoit cependant pas les conséquences découlant du défaut de prêter ce serment.

La question se pose dès lors de savoir quelle est la véritable force ou autorité de l’article 128 en matière constitutionnelle. Par exemple, l’on ne sait pas trop comment celui-ci pourrait être modifié de façon à le rendre inapplicable à l’Assemblée nationale du Québec. La législature québécoise pourrait-elle modifier cette mesure par l’adoption d’une simple loi, agissant ainsi unilatéralement, ou faudrait-il requérir aussi le consentement de la Chambre des communes, du Sénat et des neuf autres assemblées législatives provinciales ? Cette dernière hypothèse peut sembler excessive à première vue, mais la Cour suprême du Canada a bel et bien tenu, en 1979, dans l’arrêt Blaikie, des propos qui étaient de nature à l’accréditer.

Certains juristes soutiennent que, de toute façon, le droit de siéger à l’Assemblée nationale relève strictement des privilèges parlementaires et que, par conséquent, les décisions de cette assemblée sur cet enjeu ne sauraient faire l’objet d’une intervention judiciaire.

D’autres juristes estiment que, au contraire, le respect de l’article 128 en cause est une condition sine qua non de l’exercice du droit de siéger, de sorte qu’une personne ne pourrait pas siéger à l’Assemblée nationale à moins d’avoir prêté le serment d’allégeance au souverain régnant.

Nous ne partageons l’avis ni des uns ni des autres.

De fait, nous croyons que l’article 128 échappe à la portée des privilèges parlementaires, mais que le défaut de s’y conformer ne saurait empêcher quiconque de siéger dans une assemblée élective.

Nous nous appuyons notamment, à cet égard, sur le précédent créé par George Turner Orton en 1875, un précédent où le défaut de prêter serment au monarque n’a entraîné qu’une annulation rétroactive des votes du député fédéral concerné.

Plus exactement, Orton s’était fait élire une première fois à la Chambre des communes en 1874, mais son élection fut contestée et annulée. Il s’est fait réélire dans le cadre d’une élection partielle en 1875. Orton avait prêté le serment d’allégeance au monarque la première fois, mais ne l’a pas fait à l’occasion de sa réélection, parce qu’il ne croyait pas cela nécessaire. Lorsqu’il fut saisi de la problématique, il prêta prestement le serment d’allégeance requis. Un comité de la Chambre des communes saisi de l’affaire a recommandé que ses votes soient annulés rétroactivement, depuis sa réélection jusqu’à son serment.

Ce précédent n’est évidemment pas applicable parfaitement dans le cas des 14 députés de l’Assemblée nationale qui refusent aujourd’hui de prêter le serment prévu par l’article 128 de la loi de 1867. Entre autres, parce que ces députés ne peuvent pas invoquer la simple méprise, mais aussi parce qu’ils n’ont absolument pas l’intention de prêter le serment applicable. Ce précédent nous guide cependant quant au fait qu’il est possible pour un député de siéger même s’il n’a pas prêté le serment prévu par la Constitution (et d’assumer pleinement ses fonctions) et quant aux sanctions pouvant découler de l’absence de prestation de ce serment.

Au Québec, une voie de passage à court terme serait, à notre avis, l’adoption d’une résolution de la part de l’Assemblée nationale par laquelle cette dernière reconnaîtrait aux députés du PQ et de QS le droit de siéger en dépit du fait qu’ils n’ont pas prêté le serment d’allégeance au roi Charles III.

L’adoption de cette résolution ne saurait toutefois équivaloir à une modification constitutionnelle en tant que telle. Elle devrait donc être suivie rapidement de l’édiction d’une loi visant à soustraire les membres de l’Assemblée nationale à l’application de l’article 128. Cette loi québécoise, inévitable selon nous, serait toutefois sujette à des contestations judiciaires éventuelles, ce qui est une perspective peu réjouissante, admettons-le.

Quoi qu’il en soit, personne ne peut donner un avis catégorique et définitif sur la présente situation. Ce qui nous semble clair cependant, c’est que les règles constitutionnelles devraient être interprétées et appliquées dans un sens qui permette autant que possible l’évolution du pays et de sa structure constitutionnelle. En ce sens, la flexibilité, la souplesse dans l’interprétation de l’article 128 en cause nous semble préférable à la rigidité tous azimuts.

Nous croyons également que, en 2022, c’est la démocratie et elle seule qui devrait normalement décider du droit de siéger comme parlementaire. La démocratie est, après tout, un principe constitutionnel sous-jacent ou implicite. S’il est vrai que la démocratie côtoie à ce titre le constitutionnalisme, il n’en reste toutefois pas moins que le temps est venu, selon nous, de mettre la Constitution canadienne elle-même davantage en phase avec la souveraineté du peuple et le principe démocratique.

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