Lieutenant-Duval se sentait « en danger »

La chargée de cours avait multiplié les appels à l’aide à l’Université d’Ottawa avant d’être suspendue dans la controverse

« J’avais l’impression d’être dans un cauchemar », a témoigné mercredi Verushka Lieutenant-Duval.

La chargée de cours, dont la suspension avait suscité un tollé médiatique à l’automne 2020, a livré sa version des faits au cours d’une deuxième séance d’arbitrage contre son ex-employeur, l’Université d’Ottawa.

Nerveuse et émotive, Mme Lieutenant-Duval est revenue sur les premiers jours de la controverse, après qu’elle eut prononcé le « mot commençant par un N » en classe.

Rappelons que l’Université d’Ottawa est visée par deux griefs déposés par l’Association des professeur.e.s à temps partiel de l’Université d’Ottawa, qui représente Mme Lieutenant-Duval.

L’arbitre Michelle Flaherty devra trancher sur la décision de l’établissement de suspendre temporairement son ex-employée, et ce, avant même de l’avoir entendue. Pour Verushka Lieutenant-Duval, la réponse est sans équivoque : ses droits ont été « complètement bafoués ».

« Je n’en croyais pas mes yeux. Je n’avais pas l’impression d’être au Canada. Le minimum, dans un État de droit, c’est au moins de vérifier avec la personne : est-ce que c’est vrai ? »

– Verushka Lieutenant-Duval

Deux ans après la controverse, l’incident la bouleverse encore. Le poste de professeure à l’université auquel elle aspirait depuis 20 ans, elle n’y rêve plus.

« Je ne sais plus c’est quoi, mon objectif. Je n’ai pas de plan B », a-t-elle soufflé.

« Surprise et bouleversée »

Verushka Lieutenant-Duval avait prononcé le « mot commençant par un N » en septembre 2020, alors qu’elle donnait son cours Art and Gender sur la représentation des identités de genre dans les arts visuels.

Selon la version de la plaignante, elle expliquait à sa classe le concept de « resignification subversive ». Elle a donné l’exemple du mot queer, qui était à l’origine une insulte, tout comme le « mot commençant par un N », qui a été réapproprié par la communauté noire. Un mot qu’elle avait entendu « à plusieurs reprises » de la bouche de professeurs blancs au cours de son parcours universitaire. Un mot qu’elle avait lu dans des ouvrages savants. Et qu’elle a prononcé dans son entièreté, ce jour-là.

« Ces exemples, je les tire de la littérature savante. Je ne les ai pas sortis de mon imagination », a-t-elle souligné.

D’où son « choc » lorsqu’une étudiante du groupe l’a contactée à la suite du cours pour lui demander de ne plus prononcer le mot en toutes lettres. Immédiatement, Mme Lieutenant-Duval s’est excusée auprès de toute la classe.

« J’étais surprise et bouleversée. J’étais désolée, parce que ma mention du mot ne visait vraiment pas à bouleverser quelqu’un ou à faire mal à quiconque. »

– Verushka Lieutenant-Duval

« Si j’avais su que ce mot était de nouveau si sensible pour les étudiants, je ne l’aurais jamais utilisé », a plaidé Mme Lieutenant-Duval, mercredi.

Ses informations personnelles publiées en ligne

Le cours suivant, Verushka Lieutenant-Duval invite ses étudiants à s’exprimer sur l’utilisation du mot chargé dans un contexte universitaire. Un débat purement « académique », a-t-elle souligné. À ses yeux, l’exercice, qui avait été enregistré et qui a été présenté lors de l’audience, « s’est bien passé ».

Pour elle, le dossier était clos. Puis l’histoire a dérapé.

La même étudiante qui lui avait reproché d’avoir prononcé le mot chargé publie un extrait du courriel d’excuses de la chargée de cours sur Twitter. Ses informations personnelles, dont son adresse, sont publiées en ligne. Verushka Lieutenant-Duval panique.

« Ça devient vraiment, vraiment sérieux. Je comprends que je suis en danger », a témoigné la femme de 45 ans, encore ébranlée.

Le 1er octobre, elle écrit à plusieurs responsables de son département. Elle ne sait pas quoi faire. Elle a besoin d’aide. Mais ses appels restent sans réponse.

Le lendemain, le doyen de la faculté des arts lui annonce qu’elle est relevée temporairement de ses fonctions. Avant même qu’on l’ait entendue.

La veille, l’Université d’Ottawa avait réagi à l’incident dans le journal étudiant The Fulcrum, condamnant l’utilisation du « mot commençant par un N » sur son campus.

« J’étais complètement estomaquée. On ne m’a même pas appelée, et publiquement, on déclare que ce que j’ai dit en classe était offensant », a déploré Mme Lieutenant-Duval.

La prochaine audience se tiendra le 1er décembre.

Une seule plainte officielle

Lors de son plaidoyer d’ouverture, l’Université d’Ottawa avait fait valoir « des circonstances exceptionnelles » pour justifier le retrait expéditif de son ex-employée. Notamment l’attention médiatique et le climat social tendu.

Mercredi matin, l’Université d’Ottawa a précisé qu’une seule étudiante avait finalement déposé une plainte officielle à la faculté des arts avant la suspension de la prof, et non deux étudiantes.

« C’est quelque chose que je veux simplement clarifier, parce que je pense que ce n’était pas clair non plus lorsque je l’ai mentionné lundi », a déclaré Me Céline Delorme, qui représente l’Université d’Ottawa.

Plus tard en octobre, six étudiants ont écrit au doyen de la faculté des Arts pour contester un retour éventuel en classe de Mme Lieutenant-Duval

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