Le chemin Roxham fait 6000 km

En déplacement dans la région de Danli, au Honduras près de la frontière du Nicaragua, François Audet documente le long parcours des personnes migrantes à partir de l’Amérique centrale.

Danli, Honduras — Pendant que le monde n’a d’yeux que pour l’Ukraine, plusieurs autres points chauds rivalisent pour trouver une place dans les unes des grands médias ou sur les tables de la diplomatie internationale.

L’un de ces points chauds se trouve actuellement en Amérique centrale. Si en 2018 la région a suscité une certaine attention avec les caravanes de migrants au Honduras, l’Amérique centrale est désormais l’une des plus vastes zones migratoires de la planète. En effet, le flux migratoire de cette région dépasse largement les départs régionaux générés notamment par les violences et l’extorsion des Maras et autres bandes armées de la zone.

Aujourd’hui, dans certains corridors, comme celui de Trojes au Honduras par exemple, c’est plus de 1500 migrants par jour qui sont recensés.

Si les migrants haïtiens, vénézuéliens et équatoriens sont largement représentés, c’est plus de 70 nationalités qui migrent aujourd’hui dans les corridors d’Amérique centrale. Oui, des migrants de partout, d’au-delà des océans, de l’Afghanistan, et de l’Afrique en passant par la Chine, se retrouvent dans ces corridors de déplacement. Au moment d’écrire ces lignes, on dénombre plus d’un million de migrants actifs dans la seule région de l’Amérique centrale.

Les vecteurs migratoires sont très complexes et bien loin d’être unidirectionnels. C’est donc un parcours sombre et tortueux auquel font face les migrants qui aspirent – et espèrent arriver – à une meilleure vie et surtout à traverser la frontière des États-Unis et peut-être éventuellement celle du Canada. Mais les nationalités n’importent pas, dans ce jeu dramatique et bien réel de serpents et échelles, chaque personne est surtout une histoire de déracinement, de victime d’extorsion, de viol et d’agression de toute forme. Arrivés en Amérique centrale, ils sont déshydratés, étant passés pour la plupart par la région du Darién, cette vaste jungle du Panamá qui prend souvent six jours à traverser à pied. Celles et ceux qui n’arrivent pas au bout sont abandonnés le long du chemin. Des femmes, de jeunes enfants et des personnes vulnérables qui sont prêts à tout risquer, sachant que de toute manière, leurs vies étaient menacées là d’où ils viennent.

Sur place, la mobilisation des organisations locales et des sociétés civiles est saisissante pour aider les migrants. Des pays qui n’ont pas assez pour leur propre population construisent des camps et abris temporaires. Ces installations étant bien loin de suffire aux centaines de milliers de personnes en transit, les autorités locales attendent patiemment un soutien de la communauté internationale. Mais au-delà de l’aide humanitaire, les défis sont historiques et passeront inévitablement par de vastes négociations et ententes régionales.

Aussi bien dire que les crises perdureront et que les migrants continueront leur quête de sécurité, n’en déplaise aux pays du Nord. Parce que les migrants ont des droits, comme vous et moi.

Pourquoi ces personnes migrent-elles? Il y a autant de raisons de migrer que de migrants, mais tant que les gangs de rue terroriseront Haïti, que des groupes extrémistes contrôleront l’Afrique de l’Ouest ou que les crises économiques anéantiront tout futur possible pour les Vénézuéliens ou les Équatoriens, la fuite demeurera une meilleure option.

Avec les données connues de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) et de l’Organisation mondiale pour les migrants (OIM), les projections font état d’une augmentation du nombre de migrants dans les prochaines années. On fait les mêmes observations de croissance cette année à la frontière des États-Unis et du Mexique avec 2 millions de migrants, et à celle du Canada où le nombre devrait dépasser 50 000.

Cette croissance est également favorisée par le commerce informel bien rodé sur ces routes migratoires contrôlé par les passeurs, comme nous l’avons observé cette année au chemin Roxham.

En somme, le Canada verra encore à sa frontière autant de demandeurs d’asile, sinon plus dans les prochaines années.

Est-ce que le Canada est prêt à faire face au flot migratoire qui déferle actuellement et duquel il n’a pas encore pris conscience ? Poser la question, c’est y répondre.

Après avoir franchi la jungle du Darién au Panamá, aucun mur ni aucune mesure n’empêcheront ces familles d’aspirer à un futur meilleur. Les solutions ne sont pas simples, mais il faut certainement apprendre de la crise migratoire en Europe avant que les postures populistes se dressent. La fin de l’Entente sur les pays tiers sûrs ou un resserrement des mesures de contrôle à la frontière n’arrêteront pas les migrants qui ont souvent déjà traversé plus d’une dizaine de pays. Ce n’est pas non plus l’immobilisme des libéraux qui fera sourciller les familles ayant quitté des zones de guerre. Aussi bien dire que le chemin Roxham fait plus de 6000 km et s’étend jusqu’au Panamá.

Comme la grenouille engourdie qui attend dans l’eau chaude devant ses téléréalités favorites, le Canada s’endort tranquillement dans son chaudron. Les débats stériles sur les seuils d’immigrations entre Québec et Ottawa deviendront bientôt futiles.

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