Réseaux sociaux

Réglementons les algorithmes pour atténuer la polarisation des débats

J’ai peur. Oui, j’ai peur. J’ai peur de ce que le futur nous réserve si nous continuons avec le statu quo.

Je vous dois un préambule. L’été dernier, j’ai profité du temps libre que j’avais pour m’informer sur l’intelligence artificielle (IA). Grâce au documentaire The social Dilemma, certains enjeux furent mis de l’avant pour le grand public, mais trop sommairement. Ce documentaire a souligné l’impact nocif que peuvent avoir les réseaux sociaux sur la santé mentale des jeunes et sur la propagation des fausses nouvelles. Ce ne sera pas le sujet de ce texte.

Je crois qu’il faut s’attaquer à l’éléphant dans la pièce, le dénominateur commun de plusieurs de nos maux : la polarisation idéologique accentuée par les réseaux sociaux.

Depuis quelque temps, je vois plusieurs enjeux qui font polémiques : les « wokes » en sont un bon exemple. Pour certains, ce sont des extrémistes idéologiques, pour d’autres, c’est un cycle de la pensée nécessaire afin d’amener dans changements dans notre société. Ma lecture est la même que celle que je fais de l’augmentation des fanatiques des théories du complot et que de l’assaut du Capitole en janvier dernier.

Tout cela est causé par une accélération des idées préconçues.

Le cubisme, mouvement artistique qui souligne une réalité sous différents prismes, capture bien ce problème. Nous vivons dans un monde cubique : chaque personne ne peut voir qu’un côté du prisme. Bien qu’il soit possible qu’une vérité existe, celle-ci est réfractée et donne une vision tout autre à un observateur. Pour ce dernier, l’information qu’il reçoit, c’est la vérité ; sa vérité. Cette personne agira en conséquence, quitte à attaquer le Capitole ou à ne pas faire vacciner ses enfants.

Bien entendu, grâce à la méthode scientifique, nous pouvons obtenir quelques vérités factuelles, par exemple que la vaccination permet de sauver de nombreuses vies. Toutefois, pour d’autres sujets, c’est moins clair. À titre d’exemple, pour l’un, il faudrait rouvrir les écoles, alors que pour l’autre, il est impensable de sacrifier des vies humaines au nom d’une certaine qualité de vie. Qui a raison ? Les deux et personne à la fois.

Voyez-vous, le problème avec la façon dont les réseaux sociaux exploitent l’IA, c’est qu’ils utilisent les idées préconçues des individus et ne leur fournissent que les informations qu’ils sont susceptibles d’aimer. Dans un monde où les réseaux sociaux sont la principale source d’information des jeunes, c’est problématique.

De fait, puisque les algorithmes reproduisent le passé, ils regroupent les individus dans des chambres à échos. Ces derniers finissent par se radicaliser faute de contrepoids, de contre-arguments, d'idées divergentes des leurs. Or, nous vivons dans une société où il est primordial d’échanger afin de s’entendre sur les priorités. Quel seuil d’immigration devrions-nous avoir ? Devrions-nous étendre la loi 101 aux cégeps ? La réponse à ces questions est complexe et nuancée.

Puisque nous vivons dans un monde cubique – où le prisme a autant de surfaces, de demi-vérités qu’il y a d’individus –, il est primordial de valoriser une approche démocratique et collaborative, en espérant trouver la politique publique la plus appropriée pour notre société.

Cet exercice constitue le fondement même de notre démocratie et est essentiel pour sa survie.

Par contre, dans certains cas, les fossés creusés sont si grands qu’il n’est plus possible d’échanger. C’est probablement ce qui explique que notre premier ministre a dû censurer sa page Facebook il y a quelques jours. J’éprouve un malaise. Allons-nous réellement laisser notre gouvernement dicter ce qui est vrai et ce qui est faux ? J’ai lu les messages de désinformation et de haine sur sa plateforme, je comprends son geste. Tout comme j’étais d’accord avec le bannissement du compte d’Alexis Cossette-Trudel.

Mon point est qu’au lieu de censurer la liberté d’expression des individus, pourquoi ne pas s’attaquer à la source du problème ? Attaquons-nous aux racines : légiférons pour encadrer les algorithmes des réseaux sociaux.

De toute évidence, des divergences idéologiques existaient avant l’avènement des réseaux sociaux et persisteront après qu'on ait légiféré. Par chance, car ces divergences idéologiques et culturelles sont une richesse. Cependant, j’ai bien l’impression qu’avec les algorithmes actuels, nos idées préconçues sont accélérées à un point tel que l’échange démocratique n’est plus possible.

Bien que certaines discussions existent déjà – et vous y êtes conviés –, il m’apparait primordial d’élargir la discussion. Quelles réglementations devrions-nous apporter aux réseaux sociaux ? Est-il simplement désirable que ceux-ci tâchent de prendre tout notre temps, quitte à détériorer la santé mentale de quelques-uns ? Mais plus important encore : faut-il laisser ces algorithmes nous aveugler en limitant l’accès qu’à une infime partie de la vérité, perçue à travers ce prisme des vérités ? Ou devrions-nous agir et les réguler afin de diminuer la polarisation idéologique qui gangrène nos sociétés occidentales ?

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