Climat

Quand le Canada fait sa Britney Spears

« Oops ! … I did it again », c’est mignon quand c’est Britney Spears qui le chante. Mais on ne pourra pas tolérer que le Canada entonne le même refrain en 2030 en nous annonçant avoir (encore) raté sa cible climatique.

Le pays a manqué sa cible de Rio en 2000. Celle de Kyoto en 2012. Celle de Copenhague en 2020. Il n’a plus le droit de trahir son engagement de 2030 (une réduction des émissions de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005).

En campagne électorale, Justin Trudeau a fait comme si c’était presque dans la poche, affirmant que l’ancienne cible (30 %) était même déjà atteinte grâce aux mesures en place.

« On va réduire de 36 % d’ici 2030, ça, c’est fait. On propose d’aller encore plus loin », a-t-il notamment dit pendant le débat en français.

Or, voilà que des doutes surgissent quant à la capacité du pays à atteindre cette cible. Ce mercredi, l’Institut de l’énergie Trottier (IET), un groupe de chercheurs spécialisés en énergie liés à Polytechnique Montréal, publiera le deuxième volet d’un rapport.

Le groupe y compare les résultats de modélisations faites par le ministère de l’Environnement à ses propres travaux et à d’autres effectués par la Régie de l’énergie du Canada. Ses conclusions : le ministère est systématiquement trop optimiste dans ses prévisions.

Selon l’IET, les mesures déjà annoncées par le Canada ne mènent pas vers une réduction de 36 % comme l’affirme Justin Trudeau, mais seulement de… 16 %. Un écart énorme qui, compte tenu de l’importance de l’enjeu, mérite d’être éclairci.

Secteur par secteur, l’Institut démontre comment les plans du fédéral ont, selon lui, du plomb dans l’aile. Prenons la réduction des émissions des bâtiments. Pour ça, il faut remplacer les systèmes de chauffage aux combustibles fossiles par du chauffage électrique. Or, les chercheurs calculent que plusieurs provinces n’ont tout simplement pas assez d’énergie propre pour générer les réductions promises. Les atteindre nécessiterait d’investir dans de nouveaux systèmes de production et de distribution d’énergie. Mais rien n’est lancé en ce sens. L’échéance de 2030 – dans huit ans, aussi bien dire demain matin – risque d’arriver vite.

Même chose pour les transports. Ce secteur est la bête noire du Canada. Loin de diminuer, les émissions continuent de grimper (+ 8 % entre 2016 et 2019). Le nombre et la grosseur des véhicules sur les routes sont en constante augmentation. Oui, le prix du carbone montera graduellement, affectant celui de l’essence. Mais est-ce que ce sera assez pour renverser la tendance ? Rappelons que l’interdiction de vendre de nouveaux véhicules neufs à essence entrera en vigueur seulement après la cible de 2030.

Au cabinet du ministre de l’Environnement Jonathan Wilkinson, on conteste vigoureusement les conclusions de l’IET. On affirme que plusieurs mesures ne sont pas incluses dans les calculs. Les experts de l’IET répliquent qu’elles le sont bel et bien – ou que celles qui ne le sont pas n’ont pas démontré de potentiel de réduction.

Nous sommes donc devant une chicane d’experts impossible à trancher pour les non-initiés. Si le Canada avait atteint ses cibles précédentes les doigts dans le nez, on pourrait penser que l’Institut de l’énergie Trottier pèche par pessimisme. Or, le bilan du pays incite à l’extrême vigilance.

Dans ce contexte, on se réjouit de savoir que le gouvernement Trudeau a adopté une loi qui l’oblige à fixer des objectifs intermédiaires pour atteindre ses cibles et à évaluer régulièrement l’efficacité des mesures.

En attendant d’en avoir le cœur net sur la progression réelle du Canada vers ses cibles, on ferait bien de maintenir la pression sur les politiciens. Les doutes soulevés par l’IET doivent être dissipés. C’est par la transparence – et des preuves que les émissions diminuent vraiment assez pour atteindre nos cibles – qu’on y parviendra.

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