Fini le party immobilier

Le party immobilier est bel et bien terminé. Les hausses des taux d’intérêt de la Banque du Canada ont brusquement freiné les transactions et fait chuter les prix.

Si la situation est préoccupante pour les vendeurs, elle est historiquement difficile pour les nouveaux acheteurs. Jamais n’ont-ils dû consacrer une aussi grande part de leurs revenus pour devenir propriétaires depuis que des données comparables sont disponibles (2006), selon une nouvelle étude de la firme AppEco1.

Selon l’analyse, le ménage moyen doit maintenant faire des paiements hypothécaires de 2557 $ par mois s’il veut acquérir la propriété type de la région de Montréal, d’une valeur de 519 500 $ en septembre.

L’écart est de 1124 $ par rapport à la mensualité que devaient payer les nouveaux acheteurs en 2019, soit avant la pandémie2. A… yoye !

Dit autrement, la baisse récente du prix des maisons et des condos n’a pas encore compensé l’effet des taux d’intérêt plus élevés sur la facture mensuelle.

Le fardeau hypothécaire des nouveaux acheteurs a grimpé partout au Canada, mais davantage dans la région de Montréal, notamment parce que les prix ont grimpé plus vite ici qu’ailleurs depuis trois ans.

De fait, la hausse des prix a été de 48 % dans la région montréalaise depuis 2019, autant qu’à Toronto, mais plus qu’à Vancouver (33 %).

Pour faire son analyse, AppEco a combiné les divers éléments qui influencent les décisions des acheteurs, soit le prix des propriétés, le taux d’intérêt et le revenu disponible des ménages (après impôt et transferts gouvernementaux). Dans la région de Montréal, le revenu disponible du ménage moyen était de 87 580 $ au 3e trimestre de 2022.

Six grandes régions métropolitaines au Canada ont été décortiquées avec leurs données propres, permettant à AppEco d’estimer le fardeau hypothécaire de leurs acheteurs.

Pendant 15 ans, donc, et jusqu’en 2021, ce fardeau hypothécaire lié à l’achat d’une propriété type avait oscillé entre 20 et 25 % du revenu du ménage moyen dans la région de Montréal. Or, en 2022, il a brusquement grimpé, atteignant 34 % au 3e trimestre de 2022, un sommet.

La comparaison de ce fardeau hypothécaire entre les régions illustre leurs grandes différences. Dans la région de Québec, le fardeau a certes grimpé, mais en septembre, les ménages de Québec pouvaient mettre la main sur la propriété moyenne de 323 500 $ en y consacrant seulement 21 % de leurs revenus disponibles, contre 34 % à Montréal.

À Toronto et à Vancouver, la propriété type est si coûteuse que le ménage moyen ne peut en devenir propriétaire, même en faisant des sacrifices, puisque le fardeau hypothécaire représenterait alors 57 % de son revenu disponible, soit bien davantage que ce que les banques tolèrent.

« Il n’a jamais été aussi difficile de devenir propriétaire aujourd’hui », m’explique l’économiste Julien McDonald-Guimond, auteur principal de l’analyse.

Au moins, fait-il remarquer, la majorité des ménages déjà propriétaires ne subissent pas les impacts des hausses de taux d’intérêt, en ayant des termes hypothécaires fixes. Ils seront cependant frappés lors des renouvellements, à moins que les taux ne redescendent d’ici là.

Qu’arrivera-t-il au cours des prochains mois ? Nul doute que le marché restera lent et que les prix seront sous pression, si l’on se fie à l’analyse d’AppEco.

« Avec le scénario de récession, on ajoute des pertes d’emplois et des baisses de revenus aux hausses de taux hypothécaires. On peut donc s’attendre à d’autres baisses de prix », croit McDonald-Guimond.

Les propriétés ne subiront pas toutes les mêmes baisses. Les mieux situées seront moins touchées, comme celles qui ne détonnent pas dans leur environnement (en matière de valeur, par exemple).

Autre élément : le commun des propriétaires détient souvent sa maison depuis un certain temps, pouvant donc espérer un gain appréciable à la revente, malgré le déclin récent des prix.

Il reste que ces prix ont significativement baissé depuis le sommet du printemps, un phénomène rare au Québec. La dernière baisse remonte au début des années 1990, il y a 30 ans, et il a fallu quelques années avant un retour à la normale.

Pour ceux qui en doutent, la base de données de l’Association canadienne de l’immobilier (ACI) qui sert de comparaisons est très fiable. À partir de milliers de transactions, l’ACI fait la comparaison des bungalows, cottages et condos aux attributs comparables (nombre de chambres, de salles de bains, etc.) et corrige les effets saisonniers. Les prix dans cette chronique sont pour la propriété type de l’ACI, un amalgame des maisons et condos.

Le sommet des prix a été atteint un peu plus tard au Québec qu’en Colombie-Britannique ou en Ontario. Le prix moyen le plus élevé a été noté en mai 2022 dans les régions de Montréal et de Québec, soit trois mois plus tard qu’à Toronto et deux mois plus tard qu’à Vancouver ou à Ottawa.

Les villes chères de Vancouver et Toronto, où les propriétés se vendent encore plus de 1,1 million de dollars, soit le double de Montréal, n’en sont pas à leur premier déclin récent. En 2017 et 2018, les prix avaient été significativement dégonflés, avant de reprendre du tonus pendant la pandémie.

Autre remarque : malgré les hausses de taux, certains marchés continuent de progresser, comme Calgary et St. John’s, à Terre-Neuve, deux villes de provinces pétrolières où les prix n’ont pas reculé.

À voir la détermination de la Banque du Canada à casser l’inflation, il faudra être patient avant de revoir les prix des maisons grimper, surtout considérant l’évolution des fardeaux hypothécaires calculés par AppEco.

1. Les données disponibles permettent à AppEco de faire remonter la comparaison historique jusqu’en 2006, mais certaines autres comparaisons avec des dates plus reculées n’atteignent pas le sommet actuel.

2. En supposant un acompte de 10 % et un taux fixe pour une période de 5 ans. Avec un taux variable, la mensualité est moindre (2447 $), mais l’écart avec 2019 est semblable, soit 997 $.

Consulter l’étude d’AppEco

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