COVID-19

Doit-on ranger les contenants réutilisables au placard ?

Les tasses et autres contenants réutilisables sont toujours interdits dans de nombreux cafés et supermarchés, même si une centaine d’experts de la santé ont signé une déclaration, en juin dernier, affirmant que leur usage est sûr, malgré la pandémie de COVID-19. Doit-on ranger les contenants réutilisables au placard ? Un guide publié récemment à l’intention des commerçants vise à remettre les pendules à l’heure.

Au Café Pista, qui possède trois adresses à Montréal, le barista verse le café dans la tasse réutilisable d’un client, posée sur un petit plateau laissé sur le comptoir de service. Depuis juin dernier, l’établissement permet à nouveau à ses clients d’apporter leur propre gobelet, qui est rempli au moyen d’un service « sans contact ». « On demande aux gens d’avoir des tasses nettoyées quand ils arrivent. La tasse n’est jamais dans les mains du barista, manipulée ou échangée », affirme Maxime Richard, copropriétaire des Cafés Pista.

La pratique n’est pas exceptionnelle. Après avoir refusé les gobelets réutilisables au début de la pandémie, par principe de précaution, des cafés les permettent à nouveau. Mais pas suffisamment aux yeux d’Aurore Courtieux-Boinot, membre de la coop-conseil Incita et coordonnatrice de La vague, organisme qui pilote un programme de tasses consignées auquel participent 350 établissements au Québec. Le recul du réutilisable, observé le printemps dernier, n’a pas été rattrapé, selon elle.

« Au contraire, on dirait qu’on est revenus à la situation d’il y a 10 ans, où on se faisait servir de fausses excuses. »

—  Aurore Courtieux-Boinot, spécialiste en économie circulaire et en gestion de matières résiduelles

« Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est de la mauvaise volonté », poursuit la spécialiste en économie circulaire et en gestion de matières résiduelles. « Je pense qu’il y a certaines grandes chaînes qui sont très au courant de la problématique et qui sont bien contentes de ne plus être montrées du doigt systématiquement, mais pour tous les petits commerçants et les clients, c’est vraiment la peur de ne pas faire correctement [avec le réutilisable], alors que le jetable, on sait comment ça fonctionne. »

Selon des données de l’Observatoire de la consommation responsable de l’ESG UQAM, compilées à partir de sondages quotidiens réalisés du 15 avril au 15 mai, 32,8 % des Québécois ont consommé davantage de produits à usage unique pendant cette période et 60 % se disent inquiets de la résurgence des plastiques de ce type.

Un premier guide québécois

Face à la recrudescence du jetable, Aurore Courtieux-Boinot a participé, avec d’autres acteurs du milieu environnemental, de la restauration et de la santé publique, à l’élaboration d’un premier guide québécois portant sur les « bonnes pratiques sanitaires en alimentation pour la gestion des contenants et autres objets réutilisables ».

Lancé le mois dernier, le guide a été révisé par la Direction régionale de santé publique de Montréal. On y rappelle l’importance de limiter les contacts entre les contenants personnels et les installations du commerce ainsi que la nécessité, pour les clients, de se laver les mains et de présenter des contenants vides, bien nettoyés et sans fissures, que ce soit au café, au restaurant ou à l’épicerie.

« Le nettoyage et l’assainissement des contenants réutilisables assurent en fait leur innocuité, ce qui ne peut être fait avec leurs versions jetables », précise le guide. « On ne dit pas qu’il y a un danger avec le jetable, précise Aurore Courtieux-Boinot. On est plus en train de dire : changeons de question. Ce n’est pas dans quel type de matériaux on va être plus en sécurité, c’est dans quel processus ? »

Devant la crainte que la réduction de l’utilisation du plastique à usage unique perde du terrain en raison de la peur d’une contamination à la COVID-19, 125 scientifiques, médecins et experts en santé publique ont publié une déclaration, en juin dernier, affirmant que les risques de transmission du virus n’étaient pas accrus par le recours aux contenants réutilisables.

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) n’a pour sa part pas fait de recommandations à ce sujet. « La voie principale de transmission du virus est par gouttelettes de personnes à personnes rapprochées et pendant plusieurs minutes », rappelle Madalina Burtan, conseillère en communication à l’INSPQ. « Le risque via objet (contact), tels les sacs réutilisables, est jugé plus faible et le lavage des mains “casse” la chaîne de transmission. »

Si l’INSPQ déconseille aux commerçants d’offrir un service d’emballage, c’est pour des raisons de distanciation physique et non en lien avec la manipulation des sacs réutilisables, ajoute-t-elle.

Sur son site internet, le ministère de la Santé et des Services sociaux indique que « les contenants réutilisables peuvent être apportés par les consommateurs et manipulés par les employés dans la mesure où ils se nettoient les mains après avoir manipulé des contenants appartenant aux consommateurs ».

Le microbiologiste Christian L. Jacob, président de l’Association des microbiologistes du Québec, estime que même si « le risque de transmission par des contacts indirects est fort probablement faible pour la COVID-19 », il est néanmoins existant, mais « facile à gérer ».

« Ce sont des mesures qu’on met en place depuis le début : si on manipule un contenant qui est échangé entre différentes personnes, le lavage des mains par la suite prévaut, et des désinfectants, il y en a maintenant dans tous les commerces, note-t-il. Dans ce contexte-là, je m’explique difficilement comment on pourrait continuer à refuser systématiquement l’utilisation de contenants réutilisables. »

« Bien que certains commerces aient décidé de continuer sur la voie de la réduction à la source, on voit qu’il y a quand même de grands acteurs, notamment dans la restauration rapide, qui persistent à refuser d’utiliser les tasses réutilisables de leurs clients, et on continue de faire pression pour que ça change », affirme la responsable de la campagne Océans et plastique chez Greenpeace Canada, Agnès Le Rouzic.

La faute au lobby du plastique ?

Dans ces décisions, « l’influence de l’industrie du plastique et du lobby plastique a été certaine », dénonce-t-elle. « Ça fait 50 ans qu’on parle du plastique comme un synonyme d’hygiène. Alors c’est certain que l’industrie profite de la confusion qu’il peut y avoir entre le plastique utilisé pour un usage médical et celui utilisé pour emballer les choses à l’épicerie. »

Sur son site internet, IGA annonce comme suit la suspension temporaire de l’offre « Apportez vos contenants réutilisables » : « Cette décision n’est pas due à un risque de salubrité alimentaire fondée sur la science, mais plutôt pour répondre aux demandes de nos consommateurs. »

« Pour éviter la manipulation entre les employés et les consommateurs, on a décidé de le mettre sur pause », explique Anne-Hélène Lavoie, porte-parole de Sobeys. « C’est un projet qui nous tient à cœur, et le but est de le remettre en place, mais je ne peux pas préciser de date pour le moment. »

La pandémie n’a toutefois pas conduit la chaîne d’alimentation à abandonner le retrait des sacs de plastique à usage unique dans ses épiceries. Bannis des IGA de l’île de Montréal l’an dernier, les sacs de plastique ont été retirés dans tous les magasins IGA du Québec et du Nouveau-Brunswick le 1er octobre.

Metro, qui avait été la première chaîne de supermarchés au Québec à permettre que ses clients apportent leurs propres contenants aux comptoirs de charcuterie, de boucherie et des mets cuisinés, notamment, a indiqué cette semaine à La Presse qu’ils étaient de nouveau acceptés dans les comptoirs avec service de ses magasins, « avec les mêmes règles strictes d’hygiène qui s’appliquaient déjà avant la pandémie », a précisé Geneviève Grégoire, chef des communications de Metro.

Chez Starbucks, aucune décision n’a été prise quant à la réintroduction des tasses réutilisables au Canada, bien que la chaîne les autorise en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. « Notre plus grande priorité est la sécurité de nos partenaires [employés] et des consommateurs et, pour cette raison, nous avons temporairement suspendu l’utilisation des gobelets réutilisables », a précisé une porte-parole de Starbucks Canada par courriel. « Nous avons renforcé les mesures de nettoyage en place dans tous nos magasins et nous testons actuellement des procédures opérationnelles qui nous permettront de réintroduire les gobelets réutilisables conformément aux directives du gouvernement local et des autorités sanitaires. »

Des raisons de sécurité sont aussi évoquées par Tim Hortons, qui a annoncé récemment le lancement d’un projet-pilote de tasses consignées dans la deuxième moitié de 2021 à Toronto. « Quand ce sera sécuritaire de le faire, nous allons réintroduire l’usage des tasses réutilisables apportées par nos clients », a indiqué un porte-parole de l’entreprise.

La direction de la chaîne canadienne Bulk Barn, spécialisée dans la vente d’aliments en vrac, qui a elle aussi suspendu son programme de contenants réutilisables en raison de la pandémie, a pour sa part refusé notre demande d’entrevue.

Un retard difficile à rattraper

Rappelant le travail accompli dans les dernières années pour réduire l’utilisation du plastique à usage unique, Agnès Le Rouzic déplore le recul observé ces derniers mois. Des estimations préliminaires de l’International Solid Waste Association, rapportées par le magazine The Economist en juin dernier, font état d’une hausse possible de 250 % à 300 % de l’utilisation du plastique à usage unique en Amérique depuis le début de la pandémie.

« On voit que cette pandémie a créé des dommages, des retards qui vont être durs à rattraper, constate Mme Le Rouzic. Mais j’ai bon espoir qu’on reviendra au rythme où on était avant. »

Dans les Cafés Pista, environ le tiers des clients apportaient leur tasse réutilisable avant la pandémie. Aujourd’hui, ils ne représentent que de 5 % à 10 % de la clientèle, estime Maxime Richard. « C’est un réflexe qui a été difficile à intégrer dans la vie des gens et qui a été vite perdu », déplore- t-il.

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