Pénurie de main-d’œuvre

Oui, monsieur Labeaume, nous en sommes rendus là

En réponse à la chronique de Régis Labeaume, « Timatins rachitiques », publiée le 6 septembre1

Dans sa chronique du 6 septembre, Régis Labeaume traite de la pénurie de main-d’œuvre au Québec. Alors qu’il aborde les propositions des gouvernements, il écrit qu’on « entend […] trop d’à peu près de la part des gouvernements. Comme il faudra permettre à plus de handicapés d’entrer sur le marché du travail, par exemple. Pardon ? On est vraiment rendu là ? ». Ces propos perpétuent des préjugés évidents.

Les personnes en situation de handicap constituent une minorité traditionnellement marginalisée qui a souffert de multiples mesures de ségrégation et d’institutionnalisation les privant de l’accès aux mêmes occasions professionnelles que le reste de la population.

D’ailleurs, l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017 (Statistique Canada, 2018) 2 démontre clairement leur sous-représentation sur le marché du travail, quel que soit le type de handicap. Or, plus des trois quarts des Canadiens âgés de 15 à 24 ans ayant déclaré une incapacité, qui ne fréquentaient pas l’école et n’avaient pas d’emploi au moment de l’enquête, étaient pourtant des travailleurs potentiels.

Obstacles

Différents obstacles systémiques empêchent les personnes en situation de handicap d’accéder au marché du travail. Au premier chef, soulignons la présomption d’incompétence associée au handicap. Comme le fait M. Labeaume – probablement involontairement –, on associe encore aujourd’hui le handicap à la maladie et à la souffrance. Dès lors, l’idée même qu’une personne en situation de handicap se retrouve sur le marché du travail peut apparaître contraire à son intérêt et à la productivité recherchée par les entreprises. Pourtant, les employeurs rapportent que leurs employés ayant, par exemple, une déficience intellectuelle ou autistes contribuent autant que les autres à la profitabilité de leur entreprise (Caouette et coll., 2022).

Ce n’est donc ni de pitié ni de charité que les personnes en situation de handicap ont besoin, mais d’occasions de faire valoir leurs compétences.

Bien sûr, l’inclusion sur le marché du travail passe par une évolution de la culture des entreprises. Il importe d’arrimer le contexte de travail aux capacités de la personne pour lui permettre d’avoir une contribution significative. Or, dans cet environnement, le principal obstacle est humain. Autrement dit, ce sont les attitudes qui doivent évoluer. Comment une personne peut-elle faire valoir ses compétences si on ne reconnaît même pas la possibilité que celles-ci puissent exister ?

Pour les entreprises, l’embauche de personnes en situation de handicap est une opportunité. Certaines en font une caractéristique distinctive qui leur permet de se démarquer de leurs compétiteurs auprès de leurs clients et de l’ensemble de leurs employés tout en assumant une mission sociale. À l’opposé, rappelons-nous le traitement médiatique de la fin abrupte de « stages de travail » d’une grande chaîne de magasins au détail il y a quelques années et l’impact sur l’image de l’entreprise.

Les personnes en situation de handicap aspirent à accéder à la même égalité des droits et des chances dans notre société. La signature de la Convention relative aux droits des personnes handicapées par le Canada en 2010 ajoute à cette volonté de reconnaissance et de changement social. À une époque où l’on prône les principes d’équité, de diversité et d’inclusion, leur quête s’inscrit dans la foulée de tous les groupes qui réclament leur émancipation. D’ailleurs, il suffit de remplacer dans la citation de M. Labeaume le terme « handicapés » par « femmes », pour comprendre ce qui est en jeu pour les personnes en situation de handicap. Alors, oui, nous sommes rendus là, aussi, quand il est question du handicap.

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