Un géant aux pieds d’argile

Sollio a perdu de l’argent dans deux de ses trois principales divisions en 2021

La coopérative agricole Sollio est en sérieuses difficultés financières. Une terrible nouvelle pour l’industrie agroalimentaire québécoise.

Le géant avec ses 8,2 milliards de dollars de revenus et ses 16 150 employés perdait en 2021 de l’argent dans deux de ses trois principales divisions.

Sollio est propriétaire à 84 % d’Olymel, le premier transformateur de porcs au Québec. La viande porcine est l’un des plus importants produits d’exportation de la province avec des recettes de 2,1 milliards en 2020. On dénombre près de 2000 éleveurs de porcs dans nos campagnes.

Olymel a essuyé une perte d’exploitation de 62 millions en 2021. Les chiffres ne sont pas encore disponibles pour 2022, mais cette division, qui transforme également la volaille, ne fait pas d’argent, ont indiqué plusieurs sources à La Presse.

Olymel a longtemps été la vache à lait de sa société mère, représentant environ 50 % de ses revenus.

Sollio, l’ex-Coop fédérée, est aussi active dans les produits agricoles comme les engrais, les semences et le grain. Elle détient également la chaîne de quincailleries BMR et est active dans la vente de produits pétroliers avec Sonic.

Sa division Agricole (grains) est aussi en difficulté financière avec une perte d’exploitation de 22 millions en 2021, à défaut de données plus récentes. Sollio ne divulgue pas de résultats trimestriels.

Multiples causes

Pénurie de main-d’œuvre, acquisitions en série, décisions stratégiques malheureuses et hausse du loyer de l’argent ont contribué aux déboires de Sollio.

« Les emplois dans les abattoirs, malgré une hausse de la rémunération, ne sont pas les emplois les plus courus dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Les abattoirs vont concentrer leurs travailleurs sur la chaîne d’abattage, mais vont manquer de travailleurs pour faire des découpes des pièces à valeur ajoutée. Ils se trouvent avec des coupes primaires à faible rentabilité. »

— Daniel-Mercier Gouin, professeur retraité de l’Université Laval et expert en agroéconomie

« On s’est rendu compte, avec la pénurie de main-d’œuvre, qu’il fallait mieux consacrer nos effectifs à la valeur ajoutée », dit Richard Vigneault, responsable des communications chez Olymel. « Alors on a réduit nos achats de porcs [de 530 000 par année à partir de mars 2022] pour réduire les abattages et pouvoir consacrer notre main-d’œuvre aux pièces à valeur ajoutée. Honnêtement, il fallait se reconcentrer sur la rentabilité. »

Olymel a aussi aboli 177 postes de cadre à la mi-octobre et sa société mère Sollio a commencé à vendre des éléments d’actif.

En septembre dernier, la coop a annoncé la fermeture de six silos à grains dans le Sud-Ouest ontarien et leur vente subséquente. Fin octobre, c’était la vente de ses parts de 50 % dans l’entreprise Jefo logistique, de Saint-Hyacinthe. Dans son rapport annuel de 2021, Sollio avait ciblé des actifs destinés à la vente d’une valeur de 100 millions.

Elle espère régler ses problèmes de main-d’œuvre en ayant recours massivement aux travailleurs étrangers temporaires, mais le traitement des demandes par l’État est embourbé.

La coop a déjà reçu l’aide de Québec en mai 2021. « Le gouvernement et Investissement Québec ont investi une somme de 150 millions en capitaux propres dans Olymel en vue de soutenir son développement et de renforcer sa compétitivité », indique par courriel Jean-Pierre D’Auteuil, porte-parole du ministère québécois de l’Économie.

Décisions stratégiques coûteuses

La construction récente de quatre silos à grains à Québec au coût de 110 millions s’est avérée un boulet financier. Contrairement à la transformation du porc où le cycle de vente est rapide et l’argent circule avec vélocité, celui du grain est beaucoup plus lent avec une longue période d’entreposage. De plus, les silos de l’Anse-au-Foulon sont sous-utilisés et ont été mis en vente en juin dernier. Aucune transaction ne s’est matérialisée pour l’instant.

Acquisitions en série

Olymel a enchaîné les acquisitions depuis 2015. Elle a acquis A. Trahan, de Yamachiche, et La Fernandière, de Trois-Rivières, en 2016, Aliments Triomphe pour 65,2 millions et l’ontarienne Pinty’s pour 226 millions en 2018 et F. Ménard, de l’Ange-Gardien, pour 605 millions en 2020, au sommet du cycle. Entre 2015 et 2021, la dette à long terme de Sollio est passée de 220 millions à 1 milliard, et les actions privilégiées à dividendes, de 175 millions à 831 millions.

Dette de 800 millions à renégocier

« En 2021, Sollio ne respectait pas les ratios financiers imposés dans son contrat de dette », fait remarquer Jean Bédard, CPA et professeur à l’Université Laval, qui a étudié ses résultats financiers. La facilité de crédit de 1,3 milliard, dont environ 800 millions sont utilisés, arrive à échéance en juin. « Je ne dis pas que Sollio n’aura pas son prêt, mais les conditions seront pas mal plus sévères, dans le sens que ça va coûter plus cher », ajoute-t-il.

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