Lutte contre les changements climatiques

La pandémie, une alliée inespérée ?

Deux ans de pandémie et de mesures sanitaires ont miné le moral de la population, qui accueille avec soulagement la levée des différentes restrictions ici comme ailleurs. Mais la crise climatique, elle, exige toujours des actions fortes des citoyens comme des gouvernements. La COVID-19 sera-t-elle finalement une alliée ou une ennemie dans la lutte contre les changements climatiques ?

L’année 2020 aura permis de voir une rare anomalie statistique sur le front climatique : des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en recul de 5,4 %. Une diminution provoquée par les strictes mesures de confinement déployées à l’échelle planétaire au printemps 2020, mais qui n’aura duré que le temps d’une chanson, en quelque sorte.

Dès l’année suivante, ces mêmes émissions ont grimpé de 4,9 % à l’échelle mondiale. Et la fameuse relance « verte » en a pris pour son rhume dans bien des régions du monde où la reprise rime souvent avec énergies fossiles.

Bien que la situation diffère au Québec, qui peut compter notamment sur l’hydroélectricité, des efforts considérables devront être déployés pour atteindre l’objectif de réduire nos émissions de GES de 37,5 % d’ici 2030. Après deux années de sacrifices pour limiter la propagation de la COVID-19, serons-nous prêts à agir face aux changements climatiques ?

Le public plus que jamais favorable

Dans ce contexte, sera-t-il plus difficile de déployer les mesures nécessaires pour lutter contre les changements climatiques après une pandémie ? C’est la question que s’est posée Érick Lachapelle, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal. Avec d’autres collègues, il a soumis l’automne dernier une étude intitulée L’impact de la pandémie de COVID-19 sur les préférences en matière de politique climatique.

L’intérêt principal de cette étude, qui n’a pas encore été révisée par des pairs, c’est qu’elle mesure justement les perceptions du public à l’égard de la crise climatique. Et rien n’indique que les actions face aux changements climatiques revêtent tout à coup moins d’importance après deux ans de pandémie.

Dans le document soumis au British Journal of Political Science, que La Presse a pu consulter, les auteurs soulignent que « nous ne trouvons aucune preuve que l’exposition à la COVID-19 a réduit l’importance du changement climatique dans l’espace public ni érodé le soutien pour des politiques climatiques ».

L’étude a aussi constaté que les mesures de relance liées à la COVID-19 qui incluaient l’action climatique étaient plus populaires que celles qui n’en tenaient pas compte.

En entrevue avec La Presse, Érick Lachapelle affirme que, de façon globale, la pandémie a plutôt eu un effet positif sur les perceptions du public à l’égard de la crise climatique au Canada et aux États-Unis.

« Ça a créé une fenêtre d’opportunité. La résilience pendant la pandémie a démontré justement qu’on peut être résilient. »

— Érick Lachapelle, professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal et coauteur de l’étude

C’est aussi l’avis de la professeure de psychologie à l’Université de Montréal Roxane de la Sablonnière, qui n’a pas participé à l’étude. « La COVID a permis un apprentissage de ce qu’est une crise. Ça a modifié nos habitudes. On a dû vivre avec beaucoup d’incertitude, et il y a eu beaucoup d’adaptation. »

Une transition équitable

Mais cela ne veut pas dire que le public sera prêt à accepter tous les sacrifices pour lutter contre les changements climatiques. En psychologie, c’est là qu’entre en jeu la théorie de la privation relative, explique Roxane de la Sablonnière.

« On s’évalue généralement par rapport aux autres. Si ces comparaisons sont désavantageuses, on aura tendance à avoir une forte réaction. »

— Roxane de la Sablonnière, professeure de psychologie à l’Université de Montréal

De l’avis de Caroline Brouillette, directrice des politiques climatiques au Réseau-Action climat, la question du climat, c’est aussi une question de justice. La transition doit se faire de façon équitable pour tous. « Il y a déjà beaucoup d’iniquités dans la société, et on va avoir besoin de cohésion sociale pour faire face aux changements climatiques. »

Selon Érick Lachapelle, la responsabilité individuelle face aux changements climatiques commence aussi à montrer ses limites. « Les gens sont prêts à soutenir des politiques climatiques, mais tant que le fardeau ne repose pas uniquement sur les individus. »

« Il y a des apprentissages qui ont été faits pendant la pandémie qui peuvent être utiles », analyse René Audet, professeur au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’Université du Québec à Montréal.

Mais la réalité, estime-t-il, c’est que les changements climatiques imposeront de plus en plus de contraintes. « Mais il faut regarder comment ça sera amené. Il faut que ça soit fait de façon démocratique. Ça prend de la légitimité. »

« On a tendance à penser que c’est juste une question de sacrifices individuels, mais pour décarboner l’économie, ça va prendre des transformations sociétales importantes, indique Caroline Brouillette. Il faut penser à des politiques publiques qui n’augmenteront pas les inégalités. »

« L’idée d’une relance verte, c’est de plus en plus populaire, conclut Érick Lachapelle. Les gens sont favorables à ce qu’il y ait plus de dépenses en ce sens. Mais le prix du pétrole augmente. En fait, le prix d’à peu près tout augmente. Il faut que les gouvernements investissent dans des dépenses collectives. Il y a une certaine tolérance [du public] pour des coûts financiers additionnels en ce sens. »

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