Transport routier

Conduire à l’aveugle

Il faut avoir des données fiables pour gérer la congestion routière et les gaz à effet de serre (GES). Cette évidence, on ne devrait pas avoir à l’écrire dans une chronique en cette ère de réchauffement climatique.

Or, au Canada, ces données fiables sur l’utilisation des véhicules automobiles n’existent pas. Aucun organisme ne recueille adéquatement des données sur la consommation hebdomadaire de carburant des véhicules ni sur la fréquence d’utilisation de ces véhicules.

Oui, bon, à la lumière de certaines données, on constate que les autos sont plus grosses et plus nombreuses ; elles sont aussi moins gourmandes en carburant et parcourraient moins de kilomètres en moyenne. Mais est-ce bien le cas ? La tendance se poursuit-elle, et à quel rythme ? Le prix de l’essence joue-t-il un rôle ? Depuis quatre ans, pas moyen de le savoir.

Entre 1999 et 2009, le ministère des Transports du Canada menait une enquête qui permettait de suivre l’évolution de la situation, mais elle était fastidieuse et imprécise. En 2014, Transports Canada avait mis en place une méthode super fiable pour obtenir les renseignements, en utilisant un enregistreur de données électroniques branché sur un échantillon de voitures.

On a alors appris qu’en 2015, les véhicules légers consommaient 11,9 litres aux 100 kilomètres au Québec, en moyenne, comparativement à 12,2 litres en Ontario et 13,3 litres en Saskatchewan.

De plus, il a été permis d’apprendre que ces véhicules roulaient 365 heures par année au Québec, soit une heure par jour, en moyenne. En comparaison, c’est 403 heures en Ontario, soit 10 % de plus.

Et depuis 2015 ?

« Malheureusement, l’étude a été terminée après 2015 pour des raisons financières […] il y avait une possibilité que la collecte soit réactivée en 2017-2018, mais le coût a été jugé trop élevé (environ 3 millions de dollars par année) », a écrit un responsable de Transports Canada au chercheur Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal.

Le professeur spécialisé en énergie en est resté estomaqué. « Cela veut donc dire qu’il n’y a aucune donnée qui est recueillie depuis 2015 sur l’utilisation des véhicules au Canada ? Personne ne sait si les Canadiens conduisent davantage ou moins, et Transports Canada n’a aucun intérêt pour cette information ? », a-t-il répondu.

Certes, il est possible de faire une approximation avec les données d’un autre ministère, Ressources naturelles Canada (RNC). Mais pour y arriver, RNC utilise la consommation présumée de carburant des véhicules et les ventes globales d’essence, essentiellement, explique M. Pineau. Bref, c’est broche à foin, me dit-il.

Ainsi, en 2015, RNC estimait que la consommation moyenne des véhicules légers au Québec s’élevait à 9,6 litres sur 100 km. Il s’agit d’un écart de près de 27 % avec le calcul sophistiqué de l’étude abandonnée de Transports Canada (11,6 litres). Cette différence est énorme, sachant que le Canada veut justement réduire ses GES de 30 % entre 2005 et 2030.

Le transport, premier émetteur de GES

Au Québec, le transport routier est globalement responsable de l’émission de 33 % des GES sur le territoire, loin devant le secteur industriel (20 %) et l’agriculture (9 %), entre autres. Dans l’ensemble du Canada, la part du transport routier avoisine les 19 %, derrière celle attribuable à la production de pétrole et d’énergie (37 %), mais loin devant le secteur industriel ou l’agriculture (chacun 10 %). La production d’énergie (37 %) sert bien souvent au transport routier, ultimement.

L’information est tirée de l’inventaire national canadien des GES. La part globalement plus élevée du Québec n’est pas attribuable à notre utilisation plus importante de la voiture, mais au volume moindre de GES émis par les autres secteurs, en raison de notre hydroélectricité.

La réduction des GES au Québec passe donc inévitablement par une optimisation du transport routier, et notamment par une meilleure gestion des embouteillages1.

Taxe kilométrique

Pour gérer la circulation, dans le contexte de l’étalement urbain, certains évoquent une taxe kilométrique, c’est-à-dire une taxe qui serait imposée aux automobilistes selon le nombre de kilomètres parcourus chaque jour.

L’idée est pleine de bon sens. La gratuité des routes incite les consommateurs à les « surconsommer », en quelque sorte. Une taxe qui serait en fonction de la distance les obligerait à en tenir compte dans leurs choix de vie. Certains envisageraient de s’établir moins loin, d’autres de faire davantage de covoiturage ou d’utiliser plus souvent les transports en commun.

L’imposition d’une telle taxe pourrait être jumelée à la réduction d’autres ponctions fiscales, comme l’impôt sur le revenu. Cette taxe pourrait également se transformer en bonus (remboursement d’impôts) pour les véhicules moins polluants qui ont des passagers.

Mais pour dessiner des politiques publiques et gérer la congestion, il faut bien connaître l’utilisation des véhicules. Les hausses de taxes et du prix de l’essence ont-elles concrètement des effets sur l’utilisation ? Et qu’en est-il de la croissance de la population, du dynamisme économique et du boom des transports de colis des Amazon et autres magasins virtuels ?

En ajustant ses collectes d’information, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) pourrait avoir une bonne estimation de l’utilisation annuelle des véhicules. Il suffirait de relever le kilométrage de l’odomètre chaque année lors du renouvellement des immatriculations.

Mais encore faut-il vouloir. Y a-t-il des décideurs qui jugent qu’il vaut la peine d’investir dans la collecte de données fiables, dans le contexte du réchauffement ? De grâce, dites-moi oui !

1. Ceux qui rêvent d’un parc automobile majoritairement électrique en 2030 peuvent continuer à rêver, selon moi, étant donné le prix élevé des véhicules et leur autonomie encore insuffisante aux yeux de nombreux automobilistes.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.