Chronique

Parlez-moi d’une banque… sociale !

Il ne faut pas manquer de culot pour démarrer une banque à partir de zéro au Canada, pour se mesurer au tout-puissant oligopole des six grandes banques qui trône sur 85 % du marché.

Mais à l’ère des fintechs et de l’économie du partage, Paul Allard, président et « chef d’orchestre » d’Impak Finance, fait le pari que les consommateurs sont mûrs pour un nouveau genre de banque : une banque sociale.

Bien de son temps, l’entrepreneur en série a lancé cette semaine une campagne de sociofinancement sur le web pour mettre sur les rails sa nouvelle start-up.

Vous voulez participer à l’édification d’une future banque ? C’est possible de devenir actionnaire en allongeant aussi peu que 100 $ à partir du portail d’investissement Frontfundr. Mais attention : l’investissement est hautement spéculatif. J’y reviendrai plus loin.

Déjà, la campagne d’Impak Finance a fait un tabac sur le web. En 24 heures, la firme a amassé 425 000 $, soit 85 % du montant minimal qu’elle visait. Il faut dire qu’Impak a pris soin de rédiger une notice d’offre (offering memorandum) qui permet d’amasser des montants supérieurs à ceux d’un « financement participatif en capital » limité à 250 000 $, deux fois par année.

Ce nouveau mode de financement est encadré par les autorités réglementaires depuis mai 2015. Trois entreprises ont tenté leur chance. Mais seulement deux ont clôturé leur financement, soit Ubios (156 500 $) et Bougex (107 500 $), selon l’Autorité des marchés financiers (AMF).

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Mais revenons au concept de banque sociale. L’idée a germé dans l’esprit de Paul Allard durant un voyage en Grèce avec sa mère. Il y a constaté que le berceau de la démocratie avait été pris en otage par les banques dans la foulée de la crise financière de 2008.

Comment contrer la spéculation et la financiarisation de l’économie ? L’entrepreneur a trouvé la réponse en s’intéressant à Triodos, une banque néerlandaise qui encourage les changements positifs sur le plan social, environnemental et culturel.

Et ça marche ! Lancée en 1980, avec l’équivalent de 790 000 $, la banque a dégagé des profits de près de 60 millions l’an dernier, un bond de 135 % en cinq ans.

En voyant le modèle d’affaire de Triodos, Paul Allard s’est dit : « Eurêka ! C’est ça qu’on fait au Canada ! On va créer une banque responsable, 100 % transparente qui ne met ses liquidités que dans l’économie réelle et dans des entreprises à impact positif. »

À l’heure actuelle, les épargnants ne réalisent pas que lorsqu’ils déposent 100 $ dans un compte bancaire, l’institution financière peut se retourner et prêter 1000 $. Ils ne savent pas à qui est prêté cet argent ni selon quels critères.

La future banque Impak veut mettre en place un écosystème collaboratif où les déposants mesureront le pouvoir de leur argent. Quand ils ouvriront un compte, on leur demandera dans quel type d’entreprise ils souhaitent voir leurs économies redéployées. Ils pourront ensuite suivre les résultats sur leur application mobile.

Éventuellement, la banque offrira aussi un éventail de produits financiers responsables : des hypothèques pour les rénovations vertes, des prêts pour les voitures électriques.

Voilà qui est bel et bon. Mais comment convaincre les consommateurs très prudents – avec raison – de déposer leur argent dans une banque flambant neuve ?

« Si on passe à travers la réglementation, c’est qu’on rencontre absolument tous les critères. Devenir une banque à charte, c’est un long processus. Ça ne se fait pas en criant ciseaux. C’est beaucoup de boulot, beaucoup de papier. C’est lourd. »

— Paul Allard, président d’Impak Finance

Et c’est pour cette raison qu’Impak lancera d’abord un fonds d’obligations à impact positif. Cette plateforme de prêts web devrait voir le jour d’ici la fin de 2017. La banque, elle, suivra vers 2018-2019, si tout va bien.

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Pour jeter les bases de son projet, Paul Allard veut recueillir 5 millions d’ici le début de l’hiver. Il a l’habitude. En 20 ans de carrière, il a levé 35 millions et inscrit quatre entreprises à la Bourse, dont son dernier bébé, Engagement Labs, spécialisé dans la mesure de l’efficacité d’une marque sur les réseaux sociaux.

Pour démarrer Impak, M. Allard a injecté 150 000 $ avec six autres partenaires fondateurs.

Impak Finance a aussi reçu 1 million d’une demi-douzaine d’investisseurs stratégiques qui sont déjà actifs dans l’investissement d’impact, comme Bill Young, un entrepreneur philanthrope ontarien qui a placé une grande partie de sa fortune dans l’investissement d’impact.

Une autre ronde de financement auprès d’investisseurs fortunés devrait permettre de réunir les sommes suffisantes afin de créer la plateforme web, de lancer le fonds d’obligations et de mettre en place l’équipe qui travaillera à obtenir l’approbation pour la banque à charte.

Rendu à cette étape, Impak devra lever 50 à 60 millions de capitaux propres pour capitaliser la banque.

Il y a donc encore loin de la coupe aux lèvres. Pour l’instant, Impak reste une société embryonnaire sans revenu ni profit, tout au plus un concept séduisant pour les investisseurs responsables qui n’ont pas froid aux yeux.

Car il faut savoir que les actions d’Impak ne seront jamais inscrites à la Bourse et que les actionnaires ne pourront pas voter directement.

Suivant le modèle de gouvernance de Triodos, les droits de vote sont remis à une fondation qui s’assurera que la mission de la banque sera toujours respectée et qui aura le mandat de mettre en place un marché secondaire où les actionnaires pourront négocier les actions. Mais ce ne sera pas avant deux ans.

Alors, si vous avez besoin de votre argent à court terme, laissez-le dans votre compte en banque !

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