Charte de la langue française

Des gestes nécessaires pour des exigences pressantes

Il y a 45 ans, jour pour jour, le Québec adoptait la Charte de la langue française (loi 101). Pour permettre au Québec de répondre à de nouveaux défis, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (loi 96) a été adoptée en 2022. Cette loi est loin d’être parfaite.

Il ne fallait pas imposer aux nouveaux immigrants d’être en mesure seulement six mois après leur arrivée de s’adresser en français au gouvernement (art. 15).

Il ne fallait pas exiger des étudiants anglophones (autochtones ou autres) qu’ils suivent trois cours de français au niveau collégial (art. 60).

Il ne fallait pas recourir à la disposition dérogatoire à l’égard des 38 premiers articles de notre Charte des droits et libertés de la personne (art. 121 et art. 216).

Cette loi était-elle quand même nécessaire ?

Une conjoncture de plus en plus difficile

Avec l’arrivée massive de 50 000 nouveaux résidents permanents par année sur le territoire du Québec, il est normal de constater une baisse dans le nombre de personnes ayant le français comme langue maternelle ou comme langue parlée à la maison.

L’important est que le français soit la langue publique commune du Québec, ce qui implique la prédominance du français dans l’espace public.

Pour se rapprocher d’une estimation de la présence du français dans l’espace public, René Houle et Jean-Pierre Corbeil ont fait intervenir un nouvel indicateur. C’est le français comme première langue officielle parlée (PLOP) qui inclut, en plus des francophones, les allophones qui parlent français à la maison ou qui parlent surtout le français dans l’espace public.

Houle et Corbeil ont établi en 2017 qu’à la grandeur du Québec, en 2011, 85 % de la population québécoise avait le français comme PLOP. Ils prévoient cependant une chute d’environ quatre points, soit 81 % pour 2036. Le recensement de 2021 confirme leur prédiction. De 2016 à 2021, on est passé de 83,7 % à 82,2 %. Dans la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal (comprenant l’île, Longueuil, Laval et Terrebonne), la proportion des citoyens ayant le français comme PLOP connaîtra une importante baisse, passant de 75 % en 2011 à 71 % en 2036. Le recensement de 2021 indique que ce plancher est déjà atteint (71,3 %).

Plusieurs facteurs expliquent cette chute : la croissance naturelle de la population, les transferts linguistiques, la migration interprovinciale et l’immigration internationale.

L’intégration des immigrants à la langue française s’est nettement améliorée depuis quelques années, mais tout pourcentage des immigrants francophones ou francisés inférieur à 85 % va faire diminuer la proportion globale des citoyens ayant le français comme PLOP.

C’est encore pire que prévu

La baisse prévue par Houle et Corbeil en 2017 a été calculée en ne tenant compte que de l’immigration économique. Il est en effet difficile de prédire quoi que ce soit au sujet du tiers de l’immigration québécoise, qui est composé des réfugiés et du rassemblement des familles. Les chiffres ne pouvaient tenir compte non plus de la volonté récente du gouvernement fédéral de faire porter le nombre de nouveaux résidents permanents annuels au Canada de 250 000 à 450 000 par an.

Les auteurs ne pouvaient pas plus tenir compte de la présence récente de 170 000 résidents non permanents par année détenant des permis provisoires de travail ou d’études au Québec.

Selon Pierre Fortin, 85 % de la sélection au sein même de la catégorie économique a été comblée en 2021 par des candidats issus des programmes fédéraux d’immigration temporaire.

L’acceptation massive des demandes de permis d’études venant de l’Inde (étudiants surtout anglophones) et des refus massifs de ces permis pour les étudiants venant d’Afrique (surtout francophones) dans les collèges et universités est venue empirer les choses. Or, les étudiants constituent plus de la moitié des immigrants détenant des permis temporaires.

Des motifs d’inquiétude réels

Des tendances lourdes déjà observables s’accentuent en dépit des progrès réalisés grâce à la loi 101. Si rien n’est fait, la proportion des citoyens dont la PLOP est le français chutera à 60 % dans la RMR de Montréal en 2036.

La loi 96 a pour ambition de chercher à relever certains de ces défis.

Elle exige à l’article 57 de tout travailleur détenant un permis de travail ou d’études provisoire qu’il envoie après trois ans ses enfants dans des écoles de langue française. L’article 60 plafonne à 17,5 % la proportion maximale d’étudiants inscrits dans les collèges anglophones. Une part maximale de 11,7 % est réservée dans ces collèges à toute augmentation éventuelle d’effectifs étudiants dans le réseau.

Les effectifs anglophones suivant des cours en anglais dans des collèges de langue française ne doivent pas excéder 2 %. Les admissions dépassant les devis ministériels ne seront pas financées. Enfin, les entreprises de 25 employés et plus devront être francisées (article 83).

Des motifs d’inquiétude réels justifient une intervention de l’État. En ce sens, la loi 96 répond à plusieurs exigences qui deviennent pressantes. Pour apporter sa contribution, l’État canadien devrait imposer la connaissance du français comme condition à l’octroi de la résidence permanente au Québec.

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