Un groupe Néonazi sur le radar de la GRC

Des perquisitions de la Gendarmerie royale du Canada dans le cadre d’une enquête sur le groupe terroriste néonazi Atomwaffen ont semé l’émoi dans deux municipalités du Centre-du-Québec jeudi.

Des perquisitions « au milieu de  nulle part »

Des perquisitions de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans le cadre d’une enquête sur un groupe terroriste néonazi ont semé l’émoi jeudi dans la petite localité de Saint-Ferdinand, dans le Centre-du-Québec.

Selon nos informations, les enquêteurs s’intéressaient notamment à la diffusion d’une vidéo de propagande haineuse en ligne.

Stéphane Daigle tondait sa pelouse en matinée lorsqu’il a vu défiler devant lui un imposant déploiement policier. « J’étais vraiment surpris. Sur le coup, je pensais que c’était un drame familial », dit le résidant de Saint-Ferdinand, qui habite à quelques mètres des lieux de la perquisition.

Quand la GRC l’a avisé qu’il s’agissait d’une opération de sécurité nationale, M. Daigle a été sous le choc. « Je me suis dit : “Ça ne se peut pas, c’est impossible.” On est au milieu de nulle part. C’est un petit village tranquille, il ne se passe rien ici », laisse-t-il tomber.

En matinée jeudi, la police fédérale a mené une perquisition dans une résidence du secteur de Vianney à Saint-Ferdinand, dans le cadre d’une enquête sur le groupe terroriste néonazi Atomwaffen. Une seconde perquisition a eu lieu à Plessisville.

Les interventions ont mobilisé 60 policiers de la GRC, dont des enquêteurs de la sécurité nationale, un groupe tactique d’intervention, un maître-chien et plusieurs unités de soutien. La Sûreté du Québec a également porté assistance aux enquêteurs sur le terrain.

En bordure de la route, le maire de Saint-Ferdinand, Yves Charlebois, observait les policiers au travail. « Un citoyen m’a appelé pour me dire que la GRC était à l’ancienne école à Vianney. Quand je suis arrivé et que j’ai vu tous les policiers, je me suis dit que c’était sûrement pour un laboratoire de stupéfiants », dit-il.

L’endroit ayant fait l’objet de la perquisition est une ancienne école située près de l’église Saint-Jean-Vianney qui a servi de camp de vacances avant d’être vendue à des particuliers il y a une quinzaine d’années.

La Ville n’avait pas de problèmes avec les occupants des lieux, selon le maire de Saint-Ferdinand. « Ils ont des chèvres, des poules. On m’a dit qu’il y avait souvent du va-et-vient, mais rien de plus », explique Yves Charlebois.

Stéphane Daigle acquiesce. « C’est une madame bien sympathique, on n’a jamais eu de problèmes avec elle », dit-il.

À une vingtaine de kilomètres de Saint-Ferdinand, une seconde perquisition a eu lieu dans un appartement d’un immeuble de la rue de la Coopérative, à Plessisville. L’appartement visé à cet endroit était habité par un jeune homme qui n’est accusé de rien pour le moment. « Ç’a été une surprise pour nous d’apprendre ça, dit le maire de la ville, Pierre Fortier. Il y a des résidants qui s’inquiètent. On les a rassurés. C’est une intervention avec de l’équipement qu’on n’a pas l’habitude de voir. »

Aucune accusation pour le moment

C’est une enquête amorcée en 2020 par l’Équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC qui a mené aux perquisitions. Aucune arrestation n’a toutefois eu lieu jeudi, a indiqué le corps de police en fin de journée.

« Il n’y a pas d’accusations criminelles qui seront déposées aujourd’hui, mais selon la preuve qui va être obtenue dans les deux sites de perquisition, ça se peut que dans le futur il y ait d’autres actions policières », a indiqué Tasha Adams, porte-parole de la police fédérale. Puisqu’une enquête est en cours, les autorités n’ont divulgué aucune information sur les personnes présumément impliquées.

La GRC a multiplié les opérations ciblant les sympathisants présumés d’Atomwaffen au Canada ces derniers temps. En mars, des journalistes de Vice News ont révélé que la résidence des parents de Patrick Gordon MacDonald, un graphiste de la région d’Ottawa âgé dans la vingtaine, avait été perquisitionnée par le corps policier dans le cadre d’une enquête en matière de sécurité nationale. Des reportages de Vice News avaient auparavant identifié l’artiste comme le créateur de nombreuses œuvres de propagande pour le groupe néonazi.

Le mois dernier, un jeune homme de 19 ans de Windsor, en Ontario, a été accusé d’avoir contribué aux activités d’un groupe terroriste, après avoir offert ses services en ligne à Atomwaffen.

Fondée en 2013, la Division Atomwaffen est un groupe international néonazi qui a été lié à des actes de violence dans plusieurs pays, notamment lors d’un rassemblement d’extrême droite très médiatisé tenu à Charlottesville, en Virginie, en 2017.

« Le groupe appelle à la violence contre les groupes radicaux, ethniques et religieux, ainsi que les informateurs, les policiers et les bureaucrates, de façon à provoquer l’effondrement de la société », peut-on lire sur le site du ministère de la Sécurité publique.

L’organisation a été ajoutée à la liste des entités terroristes interdites au Canada en 2021. En juillet 2019, un des chefs de l’organisation, un citoyen américain, a été expulsé du Canada en raison de son appartenance au groupe.

— Avec la collaboration de Gabriel Béland, La Presse

Division Atomwaffen

PROVOQUER L’EFFONDREMENT DE LA SOCIÉTÉ

Peu connue au Québec, la Division Atomwaffen est à l’origine de plusieurs meurtres aux États-Unis, où des arrestations ont aussi été effectuées avant l’exécution de plans visant des infrastructures essentielles

Qui sont-ils ?

Fondée aux États-Unis en 2013, la Division Atomwaffen est un groupe terroriste international néonazi, inscrit sur la liste des « entités terroristes » reconnues par la Gendarmie royale du Canada (GRC) le 3 février 2021. Il est maintenant établi au Royaume-Uni, au Canada, en Allemagne et ailleurs. Les membres de la Division Atomwaffen appellent à la violence contre les groupes raciaux, ethniques et religieux, ainsi que les informateurs, les policiers et les bureaucrates, dans le but de « provoquer l’effondrement de la société », une idéologie connue sous le nom d’« accélérationnisme ».

Pourquoi sont-ils à craindre ?

Contrairement aux « trolls » présents sur les réseaux et les forums, les membres de la Division Atomwaffen « ne sont pas juste des chialeux », estime le professeur de criminologie de l’Université Laval Stéphane Leman-Langlois. La Division Atomwaffen a déjà organisé des camps d’entraînement, ou « camps de la haine », dans le cadre desquels les membres sont formés au maniement d’armes et au combat corps à corps, précise la GRC sur son site internet. Ils ont d’ailleurs mené plusieurs actions violentes aux États-Unis, notamment lors de rassemblements publics, dont celui de Charlottesville, en Virginie, en août 2017. Un sympathisant néonazi avait alors foncé en voiture dans une foule de manifestants antiracistes. Une jeune femme de 32 ans, Heather Heyer, avait perdu la vie et des dizaines de personnes avaient été blessées.

Est-ce la première fois qu’on agit contre eux au Canada ?

En juillet 2019, le codirigeant de la Division Atomwaffen, un citoyen américain, a été interdit de territoire au Canada par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il avait alors été déterminé qu’il était membre d’une organisation qui « se livre ou se livrera à des activités terroristes », précise la GRC. Le mois dernier, un jeune homme de 19 ans de Windsor, en Ontario, a été accusé d’avoir contribué aux activités d’un groupe terroriste, après avoir offert ses services en ligne à Atomwaffen. Le fait qu’aucune arrestation n’a eu lieu jeudi à Plessisville et à Saint-Ferdinand laisse croire que les autorités étaient davantage à la recherche de matériel permettant de lier certains individus à Atomwaffen, estime le cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent de l’Université de Sherbrooke David Morin.

Que veut dire Atomwaffen ?

Atomwaffen, en allemand, veut dire « armes nucléaires ». Le choix de cette appellation démontre l’attachement de ses membres à l’imaginaire nazi issu du IIIe Reich. Le groupe n’aurait pourtant pas de pendant en Europe, contrairement à certains autres groupuscules d’extrême droite tels PEGIDA ou Les soldats d’Odin, indique le professeur de criminologie à l’Université Laval Stéphane Leman-Langlois. Et malgré la référence aux armes atomiques de son nom, ses membres n’auraient jamais été liés de près ou de loin à l’arme ultime.

Pourquoi avoir mené cette opération maintenant ?

L’extrême droite vit-elle une recrudescence au Québec en ce moment, d’où l’opération de jeudi ? Pas vraiment, estime Stéphane Leman-Langlois. « La tendance était plutôt à la dormance, ou [les groupes] étaient embarqués dans la lutte contre les mesures sanitaires », dit-il. En effet, les membres de plusieurs groupuscules d’extrême droite ont été aperçus dans des évènements de contestation des mesures sanitaires depuis le début de la pandémie. « Ils ne se sont pas nécessairement recyclés là-dedans, mais pour maintenir un membership, il faut se coller à l’actualité. Avant, ils étaient plus mobilisés autour de l’immigration illégale, mais pendant la pandémie ce sujet a été mis sur la glace, alors ils ont sauté à pieds joints [dans la contestation des mesures sanitaires] », explique Stéphane Leman-Langlois.

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