Santé

Une situation inquiétante

Marc, 13 ans, vient de passer d’une myopie de - 1 à - 2 dioptries en un an. Ce qui peut sembler banal. « Mais c’est beaucoup ! », soutient Langis Michaud, professeur titulaire à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal et président de l’Ordre des optométristes du Québec. Quand la progression de la myopie dépasse - 0,25 dioptrie par an, il faut intervenir, avise-t-il.

Marc est pourtant loin d’être le seul dans son cas. Le Dr Michaud a récemment vu une jeune patiente de 7 ans dont la myopie a dégringolé de - 1 à - 3, en seulement huit mois. « Si on ne fait rien, elle se retrouvera rapidement à - 10 ou - 13 », dit-il.

Il faut savoir qu’à partir de - 8, la myopie est maintenant considérée comme une cause de cécité, souligne le Dr Michaud. En moyenne, la myopie évolue de - 0,5 dioptrie par an jusqu’à la fin de la croissance.

En Amérique du Nord, la proportion d’adultes myopes a doublé lors des 20 dernières années, passant de 20 % à 40 %. Face à cette épidémie, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) encourage les pays à se doter de stratégies pour éviter les fortes myopies. Au Québec, l’Université de Montréal participe à une nouvelle étude internationale qui vise à freiner le problème, a appris La Presse.

Pour mieux comprendre cette nouvelle réalité, le Dr Langis Michaud a répondu à nos questions.

Pourquoi la situation est-elle préoccupante ?

Aujourd’hui, dès 8 ou 9 ans, des enfants ont déjà une myopie bien installée, alors qu’avant c’était plutôt vers 12 ou 13 ans. Plus la myopie commence tôt, plus elle évolue rapidement. Ce qui est grave, ce n’est pas la myopie, mais la forte myopie, soit quand on dépasse - 5 ou - 6 dioptries. Il y a alors des risques de pathologies et la santé de l’œil peut être affectée.

À Taiwan et à Singapour, certaines parties de la population sont quasi aveugles. La situation peut-elle devenir aussi inquiétante au Québec ?

Si on ne fait rien, oui. Il faut savoir qu’on ne peut pas empêcher la progression de la myopie, mais on peut la ralentir. On cible les enfants, car c’est auprès d’eux que l’on peut agir. 

Pourquoi assiste-t-on a une telle épidémie de myopie ?

Les causes sont multiples. D’abord, il y a une question génétique. Ensuite, l’environnement dans lequel on évolue joue beaucoup. Nos comportements ont changé. Avant, les yeux des enfants en milieu scolaire étaient sollicités à l’école, de 9 h à 15 h. Après, les enfants jouaient dehors. Maintenant, ils se lèvent le matin avec l’iPad. À l’école, ils regardent le tableau, un écran et parfois un ordinateur. De retour à la maison, ils sont encore devant un écran. Notre système visuel n’a donc jamais le temps de relaxer. Il est sollicité toute la journée.

Comment le fait de jouer dehors peut-il aider la vision ?

Quand on est dehors, notre système visuel n’est sollicité que par des choses qui sont à une distance éloignée, donc c’est relaxant pour l’œil. Des études ont démontré que les activités extérieures permettent de réduire la progression de la myopie de 30 à 40 %. Les enfants devraient passer 90 minutes par jour dehors.

Comment l’utilisation de la technologie a-t-elle un impact ?

Le problème, c’est quand l’œil est toujours très sollicité de près et qu’il passe rapidement d’une distance à l’autre. Par exemple : du téléphone, à la tablette, au clavier, à l’écran d’ordinateur, à la personne qui vient nous parler. L’œil doit alors toujours faire un effort pour s’accommoder, ce qui le fatigue. Dans nos sociétés modernes, on sollicite de façon indue notre système visuel, alors qu’il n’est pas fait pour ça. On n’a pas encore assez évolué comme espèce pour l’adapter ainsi. On a encore des yeux pour vivre à l’extérieur la plupart du temps. Il faudra plusieurs générations à notre système visuel pour s’adapter à ces changements.

La façon de corriger la myopie doit-elle changer ?

On s’est aperçu que la façon classique de corriger la myopie n’est pas forcément la meilleure. Car lorsqu’un enfant myope porte des lunettes ou des verres de contact traditionnels, l’image est claire au niveau de la rétine, mais comme l’œil est courbé, il y a un « défocus » qui peut se créer en périphérie de la rétine. Ce qui stimule l’œil à s’allonger, et fait donc augmenter la myopie. En influençant la périphérie de la rétine avec d’autres types de lentilles, on arrive maintenant à ralentir la myopie de 30 à 50 %. On obtient de meilleurs résultats avec les verres de contact qu’avec des lunettes.

Est-ce facile pour les enfants de porter des verres de contact ?

Oui, des études ont démontré que dès l’âge de 8 ans, il est sécuritaire d’en porter. Mais cela demande une supervision des parents.

Le laser pourrait-il être une solution ?

Non, car pour utiliser le laser, il faut que la vision soit stabilisée. La myopie peut progresser jusqu’à la fin de la croissance. Sans oublier qu’il faut avoir 18 ans. 

Vous travaillez sur une étude internationale. Pouvez-vous en dire plus ?

Plusieurs pays et cliniques à travers le monde sont impliqués dans cette étude, avec l’entreprise Johnson & Johnson Vision Care, qui a pour but de ralentir la myopie grâce à une lentille jetable à la journée. C’est un design complètement innovateur qui n’est pas encore sur le marché. On vient de commencer l’étude, qui durera trois ans. Elle implique des jeunes entre 7 et 11 ans, pour un total de près de 3000 patients. On est encore en recrutement. Les entreprises investissent beaucoup d’argent en ce moment dans ce type de recherche, car c’est un besoin en santé publique, en plus d’être un marché potentiel important pour elles.

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