Congédiement de Stéphane Waite

Bergevin inquiet des « patterns » de Carey Price

« J’ai vu des hauts et des bas. Vous les avez vus aussi. »

Marc Bergevin n’a pas fait de cachettes par rapport aux performances de son gardien numéro 1 et joueur de concession Carey Price.

Autant les circonstances entourant le congédiement de l’entraîneur des gardiens Stéphane Waite étaient étranges – on l’a invité à ramasser ses effets personnels après la deuxième période du match de mardi contre les Sénateurs –, autant Bergevin a été franc dans la justification de sa décision.

« Mon instinct me disait qu’on avait besoin d’un changement. »

— Marc Bergevin

À ses yeux, Price avait besoin d’une « nouvelle voix » pour le guider vers le succès, reprenant l’expression qu’il avait utilisée la semaine dernière lorsqu’il a congédié Claude Julien et nommé Dominique Ducharme au poste d’entraîneur-chef.

Surtout, le DG s’inquiète du « pattern » qu’il observe chez son gardien. Un concept sur lequel il a insisté six fois plutôt qu’une au cours d’un point de presse d’environ 40 minutes, et qu’il appuie sur des observations antérieures à la présente saison, a-t-il assuré.

Bergevin ne s’est pas étendu dans ses explications de ce « pattern », des éléments « récurrents » qui le hantaient, au point de congédier Waite, son collaborateur de la dernière décennie, à Chicago puis à Montréal.

Inconstance

Il n’est toutefois pas nécessaire d’être un enquêteur émérite pour mettre le doigt sur le péché reproché à Price : l’inconstance. Les « hauts et les bas » dont parle Bergevin.

Au mois d’août dernier, Price marchait sur les eaux. En séries éliminatoires, il n’a accordé que 18 buts en 10 matchs, des performances dignes du statut de gardien le plus intimidant du circuit qui lui est attribué chaque année par ses pairs.

Sept mois plus tard, il a perdu tous ses repères. Le début de saison 2021 n’a pas été mauvais, mais ça s’est vite gâté.

Certes, ce n’était pas la seule explication aux récents insuccès de son équipe. Mais Price n’a rien fait pour aider : en février, il a compilé une fiche désastreuse de 2-4-1, assortie d’un taux d’arrêts de ,880 et d’une moyenne de buts accordés de 3,28.

En outre, son inconstance s’est, depuis toujours, mesurée à grande échelle. D’une saison à l’autre, il est impossible de prédire à quelle version de Price les partisans auront droit. Celle qui lui a valu un trophée Hart, ou celle des contre-performances à répétition ?

« Il n’y a pas un gardien qui est au même niveau tout le temps », a convenu Bergevin. Les hauts et les bas sont inévitables. Mais en nommant Sean Burke pour remplacer Waite – nous y reviendrons –, le DG souhaite que les bas soient justement… moins bas.

Pour vérifier les affirmations de Bergevin, nous avons comparé les performances de Price à celles de trois autres gardiens qui appartiennent comme lui à l’élite de la LNH : Connor Hellebuyck, Andrei Vasilevskiy et Tuukka Rask. Les deux premiers parce qu’ils font partie des gardiens les plus redoutables du moment. Et Rask parce que sa carrière s’inscrit, comme celle de Price, dans la durée.

Nous avons testé trois indicateurs : le taux d’arrêts, le pourcentage de victoires ainsi que le nombre de buts anticipés par rapport à la qualité des tirs reçus (GSAx). Ce dernier indice, calculé par le site EvolveHockey, compile les buts qu’un gardien « sauve » et soustrait ceux que celui-ci accorde alors qu’il aurait dû arrêter le tir.

Dans les trois catégories, le constat est implacable : Price est un gardien d’extrêmes. Lorsqu’il excelle, il survole ses opposants. Mais lorsqu’il peine, il est son pire ennemi.

Burke en renfort

Comme directeur général du Canadien, Bergevin a insisté sur le fait que sa « responsabilité » était de fournir « les meilleurs outils possibles aux joueurs pour connaître du succès ». À ses yeux, l’heure était donc venue nommer Sean Burke au poste de directeur des gardiens de but.

Le titre n’est pas fortuit : pour l’instant, l’ancien des Whalers de Hartford enfilera son survêtement et sautera sur la glace pour travailler avec Price et Jake Allen. Mais à moyen et long terme, on veut jeter les bases d’un département des gardiens de but calqué sur le modèle que certaines équipes – les Panthers de la Floride, notamment – ont mis en place afin d’intégrer le recrutement et la supervision des hommes masqués à tous les échelons de l’organisation.

Domicilié en Arizona, Burke, qui agissait jusque-là comme recruteur pour le CH dans l’ouest, devra se soumettre à une quarantaine de 14 jours avant de rejoindre l’équipe. Dans l’intervalle, Marco Marciano, entraîneur des gardiens du Rocket de Laval, a été appelé en renfort pour les exercices quotidiens. Il a fait sa première apparition à l’entraînement mardi, tandis que Burke a établi la communication à distance avec ses nouveaux protégés.

Burke a fait partie des personnes consultées par Bergevin pour prendre la décision de congédier Waite, mais le DG a assuré que c’est lui qui a proposé le poste à Burke, et non pas ce dernier qui s’est proposé. Il a en outre vanté l’expérience et la « crédibilité » de celui dont la dernière expérience comme entraîneur des gardiens dans la LNH remonte à la saison 2015-2016 chez les Coyotes de l’Arizona.

Par contre, une personne qui n’a pas été consultée, a martelé Bergevin, c’est Carey Price.

« Comme chef d’entreprise, la journée où je vais aller consulter un joueur pour lui demander son opinion sur ce que je devrais faire, […] je ne serai plus le bon gars pour la job. »

— Marc Bergevin

Price a été avisé du renvoi de son entraîneur quelques instants après la victoire de mardi. Invité à réagir à la nouvelle, mercredi, il s’est comme à l’habitude borné à des réponses succinctes et peu inspirées. « Parfois, le changement est une bonne chose, c’est bon d’entendre une nouvelle voix », a-t-il dit, ajoutant être « reconnaissant » pour les sept saisons et demie qu’il a partagées avec Waite.

Le « plan de match » n’a pas encore été arrêté avec Burke, une personne « avec qui il est facile de parler », a-t-il noté. Pour toutes les autres incertitudes présentes et futures, « on traversera le pont » au moment opportun.

Plusieurs fois, Bergevin a répété qu’il n’était pas un « expert » dans le travail des gardiens de but, d’où sa longue réflexion avant de faire un geste qui aurait pu, en toute logique, être intégré au mouvement de personnel majeur de la semaine dernière.

Il prend la « pleine responsabilité de ce changement ». En réalité, il n’a pas vraiment le choix : si l’on exclut le poste d’entraîneur des défenseurs, assuré à Luke Richardson jusqu’à la fin de la saison, la seule chaise importante au sein du personnel hockey à ne pas avoir changé de titulaire est maintenant celle du directeur général.

Il ne lui reste plus qu’à souhaiter que son instinct l’ait guidé sur la bonne voie.

Une relation de confiance qui doit être balisée

L’entraîneur-chef a de 20 à 23 joueurs sous sa responsabilité. Son adjoint attitré aux défenseurs, 6 ou 7. Ceux qui chapeautent les unités spéciales, de 8 à 10.

L’entraîneur des gardiens de but, par contre, n’a que deux protégés. Et la plupart du temps, l’un d’eux est identifié comme le plus important du duo.

Sans discuter du cas précis de Carey Price et de Stéphane Waite, La Presse s’est entretenue avec trois entraîneurs des gardiens de but pour en savoir davantage sur la relation qui unit un cerbère au spécialiste qui s’occupe de lui.

Au cours de sa carrière d’une quinzaine de saisons étalées entre la LNH, la Ligue américaine et l’Europe, Sébastien Caron a côtoyé tous les types de coéquipiers et d’entraîneurs imaginables. Aujourd’hui consultant pour des équipes collégiales et secondaires dans la région de Wilkes-Barre, où il est resté avec sa famille après sa retraite, le Québécois lance d’emblée le mot « mentor » pour qualifier sa conception du rôle d’entraîneur de gardien.

« Ça n’a rien à voir avec un entraîneur-chef ou un adjoint. Tu travailles ensemble, du même bord. Il n’y a pas de criage. »

— Sébastien Caron, au sujet du métier d’entraîneur des gardiens de but

La première clé du succès, c’est la confiance, ont insisté toutes les personnes interrogées pour ce reportage. Non seulement il faut la trouver, mais il faut également y arriver le plus rapidement possible, indique Maxime Ouellet, lui aussi ex-gardien devenu entraîneur, qui travaille aujourd’hui avec Hockey Québec et la LHJMQ.

« Ça arrive de manière différente avec chaque gardien selon sa personnalité, dit-il. Il faut que tu trouves ton angle pour passer ton message. Mais avec le temps, tu connais le gardien par cœur. Tu peux presque prédire comment il va réagir pendant un match. »

La prudence est toutefois de mise : « Tu ne veux pas devenir chum avec ton athlète », prévient François Allaire, conseiller au sein du département d’excellence des gardiens de but des Panthers de la Floride, unanimement considéré comme un bâtisseur dans son domaine d’expertise.

« Athlète et entraîneur, ce sont des métiers différents, poursuit-il. Les deux doivent se respecter. La relation peut être saine, mais j’ai toujours voulu observer une distance. »

Une distance qui, croit-il, est primordiale afin que le « message » continue de passer, notamment dans les moments difficiles au cours desquels l’entraîneur doit mettre son pied à terre.

Une fois la proximité « optimale » trouvée, il devient « plus facile de parler des émotions qui surviennent pendant un match, puisque le lien est là », précise Ouellet.

Psychologue

C’est justement dans les séquences les plus malheureuses que la synergie entre un gardien et son entraîneur est la plus sollicitée. Là où la compréhension du plan de match, du contrat de travail établi entre les deux, doit être optimale afin d’y revenir lorsqu’on s’en est éloigné.

Du rôle de mentor, celui de psychologue est indissociable.

« L’athlète pour qui ça ne se passe pas bien, il n’a pas de réponses, souligne Maxime Ouellet. Il les a cherchées lui-même, il pense pouvoir s’ajuster tout seul, mais après un, deux, trois matchs, la panique s’installe. C’est là que l’entraîneur intervient. Quelle est la raison principale ? Est-ce que c’est technique, physique, mental ? L’athlète est concentré sur le moment présent, mais de l’extérieur, son entraîneur est bien placé pour discerner les problèmes et les corriger. »

D’ailleurs, un œil aguerri reconnaîtra rapidement les drapeaux rouges, selon François Allaire.

Au-delà des carences de rendement, flagrantes sur la feuille de match, il y a des signes qui ne mentent pas : une baisse d’intensité à l’entraînement, par exemple, ou même de petits changements dans la manière d’aborder un échauffement d’avant-match.

« Quand tu suis le gardien de près, c’est assez facile de voir un changement d’attitude ou d’intensité dans la préparation à un match. »

— François Allaire

D’autres indices sont révélateurs, estime Maxime Ouellet. Des buts accordés à répétition à des moments clés d’un match, sinon tôt dans une rencontre ou en fin de période. « Pour moi, ce sont des indicateurs plus rapides que la technique, dit-il. Car dans un bon match, si tu fais 39 arrêts sur 40 tirs et que tu donnes un but sur une erreur technique, ce n’est pas la fin du monde. Ça n’affecte pas un gardien. Mais l’accumulation, oui. Et c’est dans ces moments-là qu’il devient fragile. »

Retrouver le succès

Comment rectifier le tir, le cas échéant ? Les visions et les techniques diffèrent.

La règle la plus universelle demeure un proverbial retour au plan de match. Faire moins, faire mieux.

Pour les cas extrêmes, la solution peut être draconienne. « Repartir à zéro, faire des exercices de base, tranquillement, suggère Sébastien Caron. Parfois, ça prend juste un déclic et c’est reparti. »

Dans le cas des gardiens qui ont déjà connu le succès, il s’agit, en réalité, de réunir les conditions gagnantes afin d’y revenir. Une chose plus facile à dire qu’à faire, bien entendu.

« C’est le rôle de l’entraîneur d’essayer de repérer ce qui fait que l’athlète performe, c’est fondamental, affirme François Allaire. Des fois, le gardien l’oublie, donc il faut être vigilant et revenir à la base, à ce qui a fait le succès à l’époque. Quand il a eu ses meilleurs matchs, voici ce qu’il faisait, voici où on veut revenir. »

De l’avis général, les gardiens de but sont accros à la routine, aux habitudes. Encore faut-il trouver les bonnes, sinon les retrouver. Et surtout les garder.

Un divorce pour relancer Carey Price

En novembre 2015, Jean Pascal a pris la douloureuse décision de quitter son entraîneur de toujours, Marc Ramsay, pour Freddy Roach.

Quelques années plus tard, avec Stéphan Larouche, Jean Pascal est redevenu champion mondial de boxe. Pendant ce temps, Ramsay, l’une des grandes sommités dans son domaine, a mené plusieurs autres de ses boxeurs à de nombreux combats de championnat du monde, et à quelques conquêtes.

Jean Pascal est l’un des plus grands boxeurs, sinon le plus grand, de l’histoire au Québec, et Marc Ramsay se distingue également à ce chapitre dans son domaine. Mais après un si long mariage, un vent de fraîcheur était de mise pour le boxeur.

Au tennis, Denis Shapovalov et Félix Auger-Aliassime ont gravi le classement international à une vitesse vertigineuse avec leurs coachs respectifs, Martin Laurendeau et Guillaume Marx. Les deux ont été remplacés en cours de route. Deux brillants entraîneurs. L’avenir nous dira si la décision était la bonne.

L’une des plus grandes associations de l’histoire du tennis, entre Andre Agassi et Brad Gilbert, a pris fin aussi, après huit ans. Agassi était un joueur talentueux, mais échevelé, lorsque Gilbert l’a pris sous son aile en 1994.

Agassi a remporté six de ses huit tournois du Grand Chelem sous sa tutelle. Ça ne l’a pas empêché de le quitter en janvier 2002, à 31 ans.

Son nouvel entraîneur, Darren Cahill, lui propose d’utiliser de nouvelles raquettes avec un cordage en polyester. Agassi relance sa carrière. Il remporte le Masters de Rome sur terre battue et atteint la finale des Internationaux des États-Unis à la fin de l’année. Il remportera les Internationaux d’Australie au début de l’année suivante.

Plusieurs années plus tard, lors de son entrée au Temple de la renommée du tennis, Agassi l’a qualifié de « plus grand coach de tous les temps » lors de son discours d’investiture.

***

Ainsi, Stéphane Waite a été congédié après la deuxième période du match de mardi. Des doigts accusateurs pointent Carey Price depuis.

Un entraîneur des gardiens n’est pas un coach ordinaire. Il passe des centaines d’heures en privé avec ses athlètes.

« Price a eu la tête de Waite », disent certains. « Une autre décision pour faire plaisir au bébé gâté », clament d’autres.

Price et Waite ont travaillé ensemble pendant huit ans. C’est une longue association dans le monde du hockey. Quoi que prétende Marc Bergevin, j’ai beaucoup de difficulté à croire que Price n’a pas été consulté, ou du moins mis au parfum de ce qui allait arriver. Peut-on vraiment mettre fin à une telle complicité au quotidien sans en parler au principal intéressé ? Il faudra se contenter de la version du DG.

Marc Bergevin affirme qu’il voyait une tendance se profiler depuis quelques saisons, malgré les succès de Price en séries cet été.

Le directeur général a affirmé plusieurs fois au cours de son point de presse mercredi matin qu’il n’était pas un expert en gardiens. Il a sans doute tendu l’oreille à Sean Burke, le successeur de Waite, déjà un membre de l’organisation à titre de dépisteur et de consultant en matière de gardiens.

Comme Jean Pascal, Andre Agassi, Shapovalov et Auger-Aliassime, Carey Price avait sans doute besoin d’entendre une nouvelle voix. Et aussi d’avoir l’écoute d’un gardien qui a lui aussi « porté les jambières » dans la LNH, donc vécu également des hauts et des bas, comme l’a expliqué Marc Bergevin.

Le directeur général du CH reconnaît les difficultés de son joueur le mieux payé et veut lui fournir les outils pour relancer sa carrière.

Waite a eu un impact extraordinaire sur Price. Il a été embauché en juillet 2013, après une saison en dents de scie du gardien, avec une moyenne de 2,59 et un taux d’arrêts de ,905, son plus faible en quatre ans, et des séries atroces contre les Sénateurs d’Ottawa.

Price était à l’aube de ses 26 ans. Il est devenu au cours des années suivantes l’un des meilleurs, sinon le meilleur, de sa profession, et il a remporté les trophées Hart, Vézina et Ted-Lindsay deux ans plus tard.

Non seulement on se sépare de Stéphane Waite, mais on restructure le département des gardiens, sous la nouvelle autorité de Sean Burke. Un peu comme les Panthers de la Floride l’ont fait cette année. Attendons les résultats…

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