Être enfant de la DPJ et s’en sortir

Nancy Audet tend la main aux jeunes

Après avoir lu une série d’articles sur les enfants de la DPJ écrite par la journaliste Katia Gagnon de La Presse, Nancy Audet a su qu’elle devait aider ces jeunes qui souffrent. Elle-même journaliste pour Radio-Canada et TVA pendant 17 ans, elle s’est offerte pour aider la Fondation des jeunes de la DPJ. « Je ferais même le ménage de votre bureau », a-t-elle lancé à la directrice. Cette dernière, intriguée, lui a demandé : « Mais pourquoi veux-tu tant t’impliquer ? » Ce à quoi Nancy Audet a répondu : « Parce que je suis passée par là. »

Après avoir écouté Nancy Audet lui raconter son enfance, la directrice lui a dit : « Si tu veux aider les jeunes, il faut que tu leur racontes ton histoire. Écris-la. » C’est ce qui la convaincra de publier Plus jamais la honte, le récit bouleversant de sa vie d’enfant battue et humiliée par sa mère, abandonnée par ses parents.

Nancy Audet a passé plus de 20 ans de sa vie adulte à cacher son passé. Mais à un moment, le silence est devenu trop lourd à porter. La mort de la fillette de Granby a été un déclencheur.

« C’est correct d’être en colère, de s’insurger. C’est inacceptable ce qui est arrivé. Mais une fois qu’on s’est mis en colère, qu’est-ce qu’on fait pour la transformer en action ? »

— Nancy Audet

« Mon action, c’est de sensibiliser les gens, parce qu’il y a urgence de santé publique. C’est pas normal qu’il y ait autant d’enfants qui subissent de la maltraitance en ce moment au Québec. »

Dans son récit des premières années de sa vie, on apprend que Nancy a subi des traitements épouvantables d’une mère à qui il aurait fallu retirer son enfant pour l’avoir blessée, agressée, poussée en bas des escaliers, enfermée à clé, livrée en pâture au pédophile du village, mise en punition sur le bord de la route et abandonnée dans un bureau de la DPJ.

Gabriel Lavoie, participant à la rédaction et camelot, assistait à l’entrevue. Il a lui-même été un enfant de la DPJ. Il est passé par des familles d’accueil et deux centres d’accueil dans sa jeunesse.

« Ce n’est pas facile la vie en centre de réadaptation, affirme Nancy Audet. Ça a été quoi ton expérience, Gabriel ?

— Moi, je contestais l’autorité de mes parents et j’avais des troubles de comportement. Par contre, j’ai toujours trouvé que c’était moi qui étais en faute. J’ai compris quelque chose, par exemple : le centre d’accueil, il misait sur moi. Ils ne peuvent pas enfermer mes parents ni leur dire : « Agissez comme ça. »

— C’est important ce que tu dis là. On va travailler avec l’enfant pour qu’il change ses comportements. Mais il faut qu’on mise aussi sur les parents. Puis, pour changer un mauvais comportement, c’est prouvé, ça prend deux ans. Donc toi, tu travailles fort de ton côté, puis on se rend compte que quand il y a une réunification, ou quand tu vas dans ta famille pour la fin de semaine, tout ce que tu as travaillé tombe à l’eau, parce que le parent continue de résoudre ses problèmes à coups de taloches en arrière de la tête. »

Le passage où Nancy raconte qu’elle a été placée dans un centre jeunesse fermé a particulièrement frappé Gabriel.

« Ils m’ont demandé de me déshabiller complètement, ils m’ont donné un récipient avec du désinfectant, ils m’attendaient à la sortie de la douche, alors que je m’étais sauvée de la maison parce que j’en avais assez de subir de la violence, de la maltraitance. Tu ne comprends pas pourquoi c’est toi qui es punie parce que tu t’es sauvée ! C’est pour ça que je comprends la colère des jeunes. L’injustice. Il y en a des enfants qui n’ont rien fait de mal.

— Quand on est jeune, on ne s’exprime pas aussi bien qu’un adulte, note Gabriel Lavoie.

— J’en croise plein de jeunes dont ce n’est pas la faute, aucunement, abonde Nancy Audet. Je m’occupe depuis trois ans d’une grande fille inuite qui était en centre de réadaptation. Elle vient juste de sortir. Je lui ai trouvé un appartement en juin, elle ne m’avait rien demandé. Elle est née dans un milieu très difficile, elle a fait 20 milieux de vie, de 0 à 11 ans. On l’a déracinée 20 fois ! Elle a été ballottée… la contention, elle a commencé à subir ça très jeune, ça a laissé des traces sur son cœur. Aujourd’hui, elle travaille très fort pour s’en sortir. À 11 ans, quand ils l’ont entrée en centre de réadaptation, elle était comme un animal. Elle avait une colère tellement forte. Je la comprends : au lieu de traiter sa douleur puis de lui donner les services psychologiques dont elle avait besoin, c’était plus facile de la réprimer. J’ai de la difficulté avec la répression.

— Est-ce que tu considères avoir réussi à guérir ? lui demande Gabriel.

— J’ai une cicatrice et elle sera toujours là, répond Nancy Audet. Je suis capable de vivre avec. C’est ce que j’essaie de faire avec mon livre et mes engagements. J’avais vraiment envie de transformer ça en quelque chose de plus grand que ma souffrance. Plus j’apprends à vivre avec ça, plus j’apprends à tendre la main à d’autres. Plus je me sens libérée, plus je suis heureuse. Les autres sont notre seule richesse. »

Nancy Audet s’implique aussi comme ambassadrice d’un nouveau programme de l’association Grands Frères Grandes Soeurs du Québec, Mentorat 16-21, qui vise à aider les jeunes de la DPJ dans leur transition vers l’âge adulte. « Ce sont 5000 jeunes, chaque année, qui quittent le système de la DPJ. Cette période post-placement est extrêmement difficile. Ils sont souvent laissés à eux-mêmes, ils n’ont pas de réseau et on les laisse dans la rue, dans une situation de grande vulnérabilité. »

— Avec la collaboration de Gabriel Lavoie, camelot, stagiaire à la rédaction

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