Artturi Lehkonen et les raisons de sourire
Artturi Lehkonen avait bien raison de sourire.
En première période, une vidéo à l’écran géant du Centre Bell a retracé les meilleurs moments tirés des six saisons qu’il a passées avec le Canadien. Le clou étant évidemment son but gagnant de la finale d’association, en juin 2021.
La foule l’a chaudement applaudi. Et moins d’une minute plus tard, il marquait le quatrième but de son club, ce qui lui a valu une autre vague d’amour. La marque était alors de 4-0. Chaque club a ajouté quatre filets, en route vers une victoire convaincante de l’Avalanche du Colorado par 8 à 4. Mais revenons à Lehkonen.
Le Finlandais, disions-nous, avait toutes les raisons de sourire. Les partisans qui le célébraient, lundi soir, étaient peut-être bien les mêmes qui, il y a deux, trois ou quatre ans, réclamaient qu’il soit échangé au bas prix, lassés de le voir rater des filets ouverts.
Même s’il avait voulu être malcommode, il n’y a personne, derrière le banc du Canadien, qu’il aurait véritablement pu narguer par rapport à son utilisation à Montréal. Le fait qu’il ait obtenu son 20e point de la saison en avantage numérique lui aurait pourtant donné du matériel pour le faire. Lorsqu’il était avec le CH, à l’exception de la saison 2017-2018 et des quelques semaines précédant son départ l’an dernier, le jeu à 5 contre 4 lui était refusé. Le voici une partie intégrante de l’attaque massive de l’Avalanche, championne en titre de la Coupe Stanley.
Sa contribution est « dure à qualifier », avait dit l’entraîneur-chef Jared Bednar quelques heures avant la rencontre, vantant son intensité et son efficacité en échec avant. « Il aime aller au filet et marquer des buts laids », avait-il ajouté. Que l’on sache, les buts-rebuts ont la même valeur sur la feuille de match que ceux qui font les choux gras d’Yvan Ponton.
« Tu veux des gars comme ça dans ton équipe », a dit Cale Makar après la rencontre. Pas un vilain compliment venant d’un gars que beaucoup de monde veut dans son équipe.
« C’est difficile de ne pas l’aimer », a renchéri Bowen Byram.
Évaluation
Le Canadien, dans ces circonstances, a-t-il fait fausse route en l’échangeant, en mars 2022, à l’Avalanche en retour de Justin Barron et d’un choix de deuxième tour ?
Pas vraiment. Nommé en janvier 2022, le directeur général Kent Hughes a hérité d’un club en piteux état, et il devait se mettre au travail rapidement pour l’améliorer. Offrir un onéreux contrat à Lehkonen à l’aube d’une longue reconstruction aurait été le contraire de l’optimisation de ses monnaies d’échange. On pourrait aussi avancer que le numéro 62 connaît du succès offensif en jouant avec Nathan MacKinnon et non plus avec Jake Evans et Joel Armia. C’est une évidence.
On peut toutefois s’interroger sur l’évaluation et l’utilisation qu’a faites le Tricolore de son attaquant au fil des années. Un joueur repêché et développé pendant le règne de Marc Bergevin, dont le bilan en la matière a été, soyons poli, mitigé. Un joueur qui, en dépit du creux de vague du CH des dernières années, a obtenu peu de chances d’évoluer sur des trios offensifs.
Le voilà néanmoins parmi les hommes de confiance de son entraîneur. On ne refera pas l’exercice en entier avec Lars Eller, mais il est amusant de l’avoir lui aussi vu en action avec l’Avalanche, lundi. À sa dernière saison à Montréal, en 2015-2016, il n’évoluait au centre qu’à temps partiel. Depuis ce jour, il joue au centre pour des équipes qui ont atteint les séries éliminatoires chaque année – il était avec les Capitals de Washington jusqu’à récemment.
Il s’agit là de deux joueurs qui ont grandi dans le giron de l’organisation et qui, à défaut de se voir confier un rôle intéressant à Montréal, en ont trouvé un… dans de meilleures équipes.
Dans la victoire comme dans la défaite, et même dans les dégelées comme celle de lundi, l’évaluation des joueurs est constante, a affirmé Martin St-Louis en fin de soirée. Ses ouailles, a-t-il dit, sont constamment scrutées. « Tu évalues tout le temps, tous les jours. » Il aime aussi dire qu’il préfère forger sa propre opinion à propos de ses ouailles, en faisant abstraction de leur passé ou de leur statut.
À une époque où le développement est un sujet omniprésent dans la vie du Canadien, voir aller Artturi Lehkonen devrait être un sérieux rappel du risque d’étiqueter un joueur rapidement. Le rappel est valable pour tout le monde, au fait. Parlez-en aux Blackhawks de Chicago, qui se sont séparés de Kirby Dach l’été dernier, ou même aux Penguins de Pittsburgh, qui ont préféré acquérir Jeff Petry que de garder Mike Matheson.
En cette saison de tous les apprentissages, cette leçon-là ne devrait pas passer sous le radar.