Artistes de la littérature

Les syndicats, en a-t-on vraiment besoin ?

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) vient d’entrer dans une nouvelle ère. Depuis le 3 juin 2022, elle a le mandat, tel qu’il le lui a été conféré par l’Assemblée nationale du Québec⁠1, de négocier des ententes collectives pour tous les artistes de la littérature, et ce, qu’ils soient membres ou non de l’association, selon la formule Rand⁠2 appliquée partout au pays.

À mes yeux de présidente, cette date est historique ! L’UNEQ est enfin devenue le syndicat que plus de 1000 écrivaines et écrivains appelaient de leurs vœux dans une lettre ouverte adressée à l’ancienne ministre de la Culture et des Communications Nathalie Roy et publiée dans les pages de La Presse le 30 janvier 2021⁠3. Une incroyable liste d’autrices et d’auteurs, connus et moins connus, œuvrant dans des genres littéraires variés, populaires ou spécialisés, des personnes de tous les horizons, rassemblées pour agir au nom de la solidarité, dans le but d’offrir à tous les artistes de la littérature des conditions minimales de travail. « Une lettre utopique », « un vœu pieux », nous disait-on… Mais cette union, ce rassemblement, l’expression de cette solidarité ont permis l’impossible : une nouvelle Loi sur le statut de l’artiste !

Depuis des décennies, d’autres catégories d’artistes jouissent déjà de ce statut légal : les comédiennes et comédiens, scénaristes, réalisatrices et réalisateurs, musiciennes et musiciens, par exemple.

Leurs syndicats ont-ils servi à quelque chose ? En avaient-ils vraiment besoin ?

L’Union des artistes (UDA), la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ) et d’autres ont obtenu des ententes collectives qui ont considérablement amélioré les conditions de pratique des travailleuses et travailleurs autonomes qu’ils représentaient, tout en rétablissant l’équilibre du rapport de force par rapport aux producteurs. Et même si toutes celles et tous ceux qui bénéficient de ces ententes peuvent les trouver imparfaites, elles constituent indéniablement des éléments de progrès social significatifs.

Inspirée par les gains obtenus par ces syndicats et appuyée par eux dans ses démarches, l’UNEQ souhaite faire en sorte que des progrès similaires s’opèrent dans le milieu du livre.

Pourquoi ?

Parce qu’au Québec, la plupart des autrices et des auteurs sont forcés de négocier des contrats de gré à gré avec des groupes d’édition, dont certains sont de véritables géants. Bénéficiant de très peu de leviers pour négocier, il leur est presque impossible d’obtenir des conditions de travail décentes.

Parce que trop de contrats d’édition au Québec constituent des cessions complètes de droit pour une durée pouvant aller jusqu’à 70 ans après le décès de l’artiste.

Parce que dans ces mêmes cessions, les écrivaines et les écrivains abandonnent d’office tous leurs droits connexes, comme le droit de traduction ou d’adaptation.

Parce que les pratiques courantes font en sorte que leur travail est bénévole pendant toutes les étapes de production du livre, tandis que sont payées toutes les autres personnes qui y collaborent, que ce soit pour la direction littéraire, la révision linguistique, le graphisme, l’impression, la distribution, etc.

Parce que des pratiques abusives, comme le droit de premier et de dernier refus, les obligent à promettre leurs œuvres futures à un éditeur donné, ce qui les lie à ce dernier, parfois pour le reste de leur carrière, sans possibilité de publier ailleurs.

Parce que des pratiques iniques, dont le paiement intertitre, les privent de leurs redevances, permettant entre autres à l’éditeur de se repayer d’une œuvre à l’autre.

Parce que les redevances, principale rémunération des autrices et des auteurs dans la plupart des cas, ne sont versées qu’une fois par an, et ce, après déduction des à-valoir reçus lors de la signature des contrats.

Les écrivaines et écrivains du Québec refusent de continuer à tolérer ces pratiques qui contribuent à les maintenir dans la précarité.

Elles et ils méritent mieux.

Par conséquent, l’UNEQ s’organise, se structure, se trompe parfois, apprend, se relève les manches et remporte de petites comme de grandes victoires. Mais surtout, l’UNEQ s’emploie à défendre les plus vulnérables de la profession et à distribuer plus équitablement le pouvoir, réclamant pour les artistes de la littérature la part qui leur est due et dont ils ont été trop longtemps privés.

Nous voulons rassembler celles et ceux qui croient en la nécessité de travailler ensemble, en union, dans la solidarité, pour bâtir un milieu plus juste et équitable.

Alors, oui, les syndicats, nous en avons vraiment besoin !

2. La formule Rand est un élément du droit du travail canadien en vertu duquel les travailleurs faisant l’objet de contrats obtenus par négociation collective doivent verser des cotisations syndicales, qu’ils soient syndiqués ou non. Source : L’Encyclopédie canadienne

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