Humour

Karen secoue le Québec

Inspirée par le phénomène américain des Karen, stéréotype de la femme blanche d’âge mûr qui s’insurge contre tout et perpétue un racisme plus ou moins conscient, Rosalie Vaillancourt a créé le personnage de Marie-Josée pour un court métrage présenté au festival Juste pour rire. Regard sur les Karen… et ce qu’elles révèlent de notre monde.

Les versions divergent quant à l’origine des Karen. Que ce soit en référence au film Mean Girls (2004) où le personnage de Karen demande à sa copine Cady comment elle peut « venir d’Afrique si elle est blanche » ou au numéro de Dane Cook dans son spectacle Retaliation (2005) dans lequel Karen incarne « cette personne dans un groupe d’amis que personne n’aime », une chose est sûre : Karen est aujourd’hui devenue le personnage féminin qui incarne le privilège blanc et le racisme.

En mai dernier, Amy Cooper, Canadienne installée à New York, a été couronnée « reine des Karen » après avoir appelé la police en plein Central Park pour faire arrêter sans raison un Noir qui lui avait demandé poliment d’attacher son chien.

Le phénomène des Karen continue à avoir le vent dans les voiles en pleine pandémie pour dénoncer ceux qui se proclament antivaccins ou antimasques. Et les Karen sont en vedette dans des « mèmes » en tous genres et les vidéos qu’elles publient souvent elles-mêmes sur YouTube sont ridiculisés.

En juillet dernier, l’humoriste Sugar Sammy a aussi fait parler de lui avec une compilation de moments d’impro consacrés à ses interactions avec certaines spectatrices intitulée : « Voici comment je deal avec les Karen lors de mes spectacles ». Une vidéo devenue virale, vue plus de 16 millions de fois sur Facebook et qui a reçu 447 000 mentions « J’aime » !

Marie-Josée, la Karen du Québec

Avec Sainte Marie-Josée part en croisade, Rosalie Vaillancourt se paye la traite ! Dans le court métrage d’une vingtaine de minutes, elle incarne Marie-Josée, une Karen de banlieue québécoise dans la quarantaine qui travaille depuis 10 ans comme responsable du développement d’un projet immobilier. Rien ne semble pouvoir arrêter cette femme prête à tout, même à démolir la maison des jeunes de son quartier pour construire de luxueux condos.

« Alec Pronovost [réalisateur du projet], avec qui je travaille tout le temps, m’a demandé si je voulais qu’on fasse quelque chose ensemble dans le cadre du festival Juste pour rire. L’idée de Marie-Josée, la Karen du Québec, est arrivée. J’avais déjà un peu mon personnage de madame que je faisais à certaines occasions. C’est un projet qui me tient vraiment à cœur et on voudrait vraiment faire quelque chose avec par la suite. Je vois ça comme un genre de pilote pour une série », s’exclame Rosalie Vaillancourt en entrevue.

« J’aime faire des personnages [comme Marie-Josée]. Ça peut aller très loin et ça apporte un regard sociologique sur la société. »

— L’humoriste Rosalie Vaillancourt

L’humoriste de 27 ans profite également de l’occasion pour régler ses comptes avec les Karen québécoises qui la trollent sur les réseaux sociaux. « Les gens qui m’écrivent les messages les plus méchants sur les réseaux sociaux, ce sont ces madames-là ! Elles sont très bébés, très immatures dans leurs commentaires. Je ne peux m’empêcher de rire en lisant ça et je vais toujours observer leurs photos de profil ! », s’amuse Rosalie Vaillancourt, qui n’aurait jamais eu le temps de développer ce concept, n’eût été la pandémie.

L’humoriste souhaite d’ailleurs consacrer à Marie-Josée un numéro lors de ses prochains passages sur scène. Elle a particulièrement apprécié le fait de sortir, avec Marie-Josée, de son personnage de stand-up de jeune femme un peu frivole.

« J’avais le goût de montrer ce talent-là. Je ne me fais pas appeler souvent pour des séries, pour jouer. Les Bye bye, je pense que je serais bonne pour en faire, mais je pense que les gens ne me voient pas au-delà de mon personnage de scène », confie-t-elle.

Un dangereux stéréotype ?

Pour Francine Descarries, sociologue à l’UQAM et figure de proue des études féministes au Québec, le phénomène des Karen est une arme à double tranchant.

« Karen, cette femme de classe moyenne blanche qui devient l’archétype des problèmes américains, permet de canaliser plusieurs revendications sociales, explique-t-elle. Plus récemment, elle sert à dénoncer les antimasques, des comportements irrationnels ou racistes. On pourrait en profiter pour faire des analyses. »

Or, avec les Karen, « on est en train de reconstruire une image que combattent les féministes depuis des décennies : les femmes ne sont pas plus irrationnelles, plus racistes ou violentes que les hommes », précise Francine Descarries qui déplore que Ken, le pendant masculin des Karen, ne soit pas aussi populaire.

« Dans une certaine mesure, j’y vois une manifestation de stéréotypes et de machisme. »

— La sociologue Francine Descarries

Une préoccupation qui a également été au centre de la réflexion de Rosalie Vaillancourt alors qu’elle construisait le personnage de Marie-Josée.

« Je me suis demandé si c’était antiféministe de parler mal d’autres femmes. Mais elles existent ! Est-ce qu’elles ont toutes en même temps toutes ces caractéristiques ? Je ne pense pas. C’est humoristique, c’est une grosse exagération, une façon pour moi de montrer que des Karen, il y en a aussi au Québec ! On n’a pas beaucoup montré le côté raciste des Karen dans le film, mais j’aimerais bien le faire par la suite », lance l’humoriste. « J’aimerais aussi parler des messieurs comme ça. Mais je suis une madame », ajoute-t-elle.

« Avec les Karen, c’est comme si on mettait une image sur le problème, mais on évite de l’analyser, d’en parler. On le configure à partir d’une seule et même personne. Et comme par hasard, c’est encore une femme… », conclut pour sa part la sociologue Francine Descarries.

Sainte Marie-Josée part en croisade, diffusé gratuitement vendredi et samedi soir dans le cadre du festival Juste pour rire.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.